
« Coupe ton nom en deux et tu voleras plus haut, au moins tu ne tomberas pas dans le ruisseau ». Suivant les conseils d’une voyante, le jeune Jean-Paul Mokiejewski est devenu Jean-Pierre Mocky ! La « Moky » est aussi le nom d’une machine à percer les tranchées pendant la guerre, inventée par son père !
La vie de ce cinéaste est truffée d’histoires abracadabrantes où l’on y croise les personnages les plus fantasques et la quasi-totalité des célébrités du show-business. Difficile de discerner le vrai du faux dans son parcours si romanesque, où l’on ne sait plus si ses films sont inspirés de sa vie, ou si c’est l’inverse.
4 novembre 2003, à l’occasion de la sortie de son 46ème film, nous rencontrons cet « ours malfamé » dans son antre du quai Voltaire: un très ancien appartement situé sous les combles, sorte de grotte labyrinthique en altitude. Il vient de signer Le furet, un joyeux hommage au polar français des années 50/60. De Orson Welles à Jean Abeillé, de Bourvil à Karl Zéro, avec sa gouaille légendaire, Jean-Pierre Mocky nous parle pêle-mêle de son amour des acteurs et des décors, de ses inspirations journalistiques, de ses énièmes embrouillaminis financiers, de ses projets aux « States », et dans une ultime embardée, il évoque ce film méconnu dont il est le plus fier…
Le furet est adapté d’un roman de Lou Cameron, pouvez-nous en dire plus sur la rencontre avec ce livre et le choix d’en faire un film ?
Lou Cameron s’intéresse beaucoup au film (rire), puisqu’il me téléphone deux fois par semaine pour savoir où ça en est. C’est un monsieur très âgé qui était contemporain aussi des Chuck Jones, des types qui faisaient les dessins animés de Tex Avery. Ce sont des vieux journalistes qui passaient leurs nuits dans les salles de rédaction à attendre les faits divers. Ils buvaient du whisky, puis ils écrivaient. Il y a eu aussi Frederic Brown. Plein de gens qui sont devenus les maîtres de la série noire et de la « pulp fiction » que Tarantino adore. « Quinto » (Petit nom donné à Quentin Tarantino, ndlr) et moi sommes des amateurs de la série noire, avec Polanski aussi. Ces vieux de la vieille sont encore les pionniers de la série noire. Lou Cameron est un pionnier. Moins connu que les autres…
Vous le connaissez depuis assez longtemps ?
Ah non ! Je l’ai découvert par hasard. Je ne savais pas quoi faire. J’en avais marre de toujours faire des trucs sur la corruption, les mises en examen, les curés, les militaires, les objecteurs de conscience, enfin toute la smala. Je me suis dis, je vais changer et faire autre chose. Et j’ai repris la veine de l’Ibis Rouge que j’avais tourné avec Michel Simon et Michel Serrault en 1975. C’était aussi tiré d’un roman de ce genre de type, Frédéric Brown, contemporain de Lou Cameron. Mais il n’a malheureusement pas tenu jusqu’à 90 ans, car il buvait tellement ! Il est mort à 60 ans. Donc, c’est un peu un retour à Paris, avec ses souterrains, ses métros, ses égouts, le côté « Mystères de Paris », qu’on a essayé de retracer dans l’affiche du film. C’est pas Les tontons flingueurs, c’est pas Tueurs de dames auxquels je le compare parfois, mais derrière, il y a quelque chose de très grave. Parce que le furet est peut-être l’assassin de certaines personnalités très en vue, dont on a jamais trouvé l’assassin. Ca a été une théorie de la police que des meurtres de personnalités étaient faits par des citoyens tout à fait normaux qui n’avaient rien à voir avec la mafia, ni avec la DST, ni avec les renseignements et tous les trucs comme ça. Ceux qui veulent éliminer des gens importants se méfient de ces organisations mafieuses ou policières. Ils se disent qu’un jour il y en a un qui va craquer et balancer le truc. Il va faire un hold-up, on va l’attraper, et pour avoir des années de rémission, il va raconter l’histoire. Le procès Allègre, l’affaire Bérégovoy, Boulain, Piat…on ne sait pas très bien comment ça s’est passé, mais on imagine très bien que c’est un furet qui les a descendus, un mec de la foule, n’importe qui. D’où l’idée sous-jacente du film. C’est un film de divertissement bien sûr, une comédie, avec des excès de comédie, mais au fond, quand à la fin du film il butte un ministre et qu’au téléphone on lui dit qu’il y a encore quelqu’un à butter, il fait : « Ah ! Toujours plus haut ! ». On se demande si ce n’est pas quelqu’un de beaucoup plus important qu’il va butter après le film (rire). C’est un petit peu ce qui m’a amusé dans le film et ce qui a amusé Villeret.
Vous étiez un peu fatigué de faire des films pamphlétaires, plus satiriques ?
Si vous voulez…le pamphlet, Capra l’a fait en Amérique avec des films comme Monsieur Smith au Sénat, Meet John Doe (L’homme de la rue, ndlr). Le pamphlet peut lasser ! Je vais en faire un de pamphlet. Mais faire un pamphlet tous les ans, le public peut se dire : « Ah, je l’ai vu le dernier pamphlet, maintenant j’en ai marre ! ». Dans toutes les carrières de cinéastes pamphlétaires, il y a toujours eu des plages. Mais tout en gardant un fond pamphlétaire. Le furet est un sous-marin du peuple, il en a marre, il veut arriver et, en même temps, il est une espèce de justicier…alors, on change un peu de registre. Le pamphlet est moins apparent que dans des films comme Vidange, Une nuit à l’assemblée nationale, ou Le miraculé. Là, le but c’est de faire plaisir aux acteurs. Je suis un défenseur de « l’acteur numéro », de « l’acteur clown », contre l’acteur de tous les jours, ce type qu’on n’identifie plus puisqu’il ressemble tellement au public que finalement, il est absorbé par le film. On ne le voit pas, comme si c’était un ectoplasme. Il passe, et on se dit : « Tiens, c’est l’employé du Bazar de l’Hôtel de Ville qui est là, il aime la coiffeuse…etc ». C’est joli pour certains, ils aiment bien ça, ils s’identifient, ils se disent : « Je suis l’employé et elle, c’est la coiffeuse, c’est mon histoire ». Donc, ils y vont. France Boutique (de Tonie Marshall, 2003, ndlr), des machins comme ça. Encore que ces films marchent moins bien que Le furet, car ils ont beaucoup plus de salles. Nous, hier, on a fait à peu près le plein, et eux ont baissé de 50% (rire).
Justement, pour la diffusion du Furet, vous avez près de 150 copies dans toute la France, alors que vos précédents films n’en avaient que quelques-unes. Comment s’explique cette soudaine multiplication ?
C’est la présence de Villeret et de Serrault. Seulement, là on rentre à nouveau dans un conflit. Je ne peux pas faire quelque chose sans qu’il ne se passe un conflit…même quand je ne fais rien, il y a un conflit. Ce qui s’est passé, suivant un exemple célèbre, vous qui êtes cinéphiles, Charlie Chaplin, Mary Pickford et Douglas Fairbanks Junior * avaient crées au moment de la dépression, une société qui s’appelait les Artistes Associés. C’étaient des grands artistes qui s’étaient mis ensemble pour fabriquer des produits qui leur plaisaient, contrairement aux produits qu’on leur proposait de faire, et qui ne leur plaisaient pas tellement. C’était moins valable pour Chaplin, mais pour les deux autres, c’était tout à fait valable. En 1930, cette société a été prise à partie par les autres sociétés, car elle était indépendante. C’était la première société indépendante, dirigée par des artistes qui ne se faisaient pas payer et qui, par là même, pouvaient produire leurs films avec facilité. Alors que les autres, les majors, étaient obligés de les payer très chers. Donc, les films coûtaient plus chers dans les majors que chez eux. Il y avait déjà eu une espèce de censure, de blocage des films produits par les Artistes Associés dans les premières années. Depuis toujours, je travaille avec des acteurs en participation: Bourvil, Catherine Deneuve, Fernandel, etc… mais c’était au sein d’une grande société. J’arrivais à faire des films parce que j’emmenais un acteur moins cher que d’habitude. Mais les producteurs, c’est à dire les usufruitiers du film étaient propriétaires du négatif, avec un « passeport » pour moi. Le « passeport » était d’amener Bourvil en participation au lieu de le payer très cher. C’est comme ça que j’arrivais à faire ces films-là. Le temps ayant passé, la structure économique du cinéma ayant changé, il n’y a plus de distributeurs qui donnent d’à-valoir. Il y a quelques producteurs, mais beaucoup moins qu’avant, et ils sont beaucoup moins compétents. Résultat : on en est arrivé, dans les années 1990/1995, à ne plus avoir de vrais producteurs. J’ai donc dû m’instaurer, moi, producteur, et mes acteurs aussi. C’est à dire que j’ai retrouvé le contexte de Charlie Chaplin de 1926 (rire). Je me suis retrouvé avec les « Mocky associés ».
Dans votre autobiographie M le Mocky, vous racontez qu’à l’époque, vous aviez envisagé de créer ce genre d’association avec Orson Welles et Jean-Pierre Melville…
On s’est retrouvés un jour dans un café avec Orson Welles, Jean-Pierre Melville, Luis Bunuel et Jacques Tati. On était à La coupole, et brusquement, on a voté ! On voulait créer ça parce qu’il se créait énormément de sociétés d’auteurs ou de producteurs indépendants. Au cours de ce déjeuner fameux – il y a une photo de ce dîner, il faudra que je la retrouve un jour, c’était un peu le dîner des Goncourt – Orson a dit : « Bon, on vote ! Qui veut être président ? ». Et personne ne voulait être président ! « .Qui veut être secrétaire ? ». Et personne ne voulait être secrétaire ! « Qui est le trésorier ? ». Et personne ne voulait être trésorier ! Finalement, ils m’ont désigné, mais moi-même je ne voulais pas faire ça…donc on s’est séparés à la fin, et il n’y avait pas de syndicat du tout ! Ils étaient trop indépendants pour se syndiquer. Donc, il n’y a pas eu de nouveau syndicat d’auteurs à risque, comme on l’était. On se définissait comme auteurs à risque, par rapport à d’autres auteurs classiques, comme Claude Chabrol, Edouard Molinaro etc, qui sont des metteurs en scène bourgeois. Ils étaient entourés de tout une série de bourgeois, donc ils n’avaient pas besoin de syndicat. Mais pour en revenir à cette histoire : aujourd’hui, je suis obligé de me produire, mais en prenant toutes les responsabilités d’un producteur, c’est-à-dire de compléter avec l’argent de mes anciens films qui servent à faire des nouveaux. Grâce au ciel, j’ai beaucoup de films qui passent à la télé, et avec le fruit de ces diffusions, j’alimente une caisse qui est relayée par le fait que les acteurs ne sont pas payés. Ce n’est plus un acteur qui vient travailler à des prix compétitifs mais c’est carrément tous les artistes qui viennent à l’œil. Le résultat ne s’est pas fait attendre par l’adjonction de Jacques Villeret. Il a été une sorte de détonateur pour le conflit qu’il y a. Parce que Villeret est un acteur très cher. Quand il travaille dans Le dîner de cons, il gagne une fortune. Quand il se présente chez Gaumont, il dit : « Bon voilà, moi je coûte tant ! ». Et on le paye. Alors, comme ils ont appris que Villeret n’était pas payé et produisait ce film avec moi, ils se sont dit: « Ah, bien ! Monsieur Villeret trouve que Mocky est mieux que nous et il ne lui demande pas d’argent, très bien !… ». Ils nous ont attendu à la sortie. Ils se sont demandés ce qu’on allait faire du film qu’on venait de réaliser. Lundi dernier, au moment où on devait sortir le film, monsieur Paulo Branco, qui est un indépendant – un peu braque, mais un brave gars, enfin, je le trouve complètement fou – a mis des affiches sur les colonnes Morris, des affiches éclairées dans le métro, un quart de page dans le Journal du dimanche. Et brusquement, le lundi matin, on nous dit qu’on n’a pas de salles aux Champs-Élysées mais au Pathé Ivry où personne ne va, là-bas au diable, où il n’y a même pas de métro. Le Gaumont Aquaboulevard, c’est à peu près la même chose. On a les Trois Luxembourg au lieu de l’Odéon, Les Parnassiens au lieu du Gaumont Parnasse. Finalement, on s’est retrouvés, lundi dernier, deux jours avant la sortie, avec rien du tout, avec des salles de merde pour la publicité qui avait été faite, et surtout pour l’interprétation qui est égale à Effroyables jardins (de Jean Becker, 2003, ndlr). On nous a coupé les couilles, tout simplement ! Tout ça, c’est une vengeance qui n’est pas officielle. Les types disent que le film n’est pas bon, donc ils ne donnent pas de salles. Voilà leur raisonnement. Le pauvre Villeret et moi et Serrault, on l’a dans le cul, gros comme une maison ! Le film n’est pas perdant. Parce que les frais du film « hors-nous », hors ces fameux Artistes Associés, sont remboursés par la télévision. Mais elle a payée très peu, on a aussi vendu le film en vidéo, et avec ça, on a pu amortir les frais du film proprement dit. Mais Paulo va certainement perdre de l’argent, car la publicité a été importante et les salles n’ont pas été remplies. Là, on a une médiation qui a été demandée, parce qu’on était par hasard dans une salle qui s’appelle MK2 Bibliothèque. Une petite salle. Toute petite. Parce qu’il ne faut pas oublier que dans les 7 salles qu’on a, on n’a que des salles de 96 places. Ce qui fait que samedi et dimanche, on a refusé du monde…qui ne reviendra jamais ! Et comme personne ne veut jamais se mettre au premier rang, il n’y a pas vraiment 96 places. En réalité il y en a 80. Les gens ne viennent pas au premier rang, c’est rare. Donc, on avait 80 places samedi soir, pour 150 personnes. On a perdu 70 personnes qui ne reviendront jamais. C’est un peu triste. Hier, on m’a annoncé qu’on nous retirait le Gaumont Aquaboulevard, (rire) et le truc là-bas où il n’y a personne (Le Pathé Ivry, ndlr) car il n’y avait vraiment personne ! Mais c’était pas à cause de nous. Par contre, les autres salles marchaient pas mal. C’était complet, parce que c’était des petites salles. Un médiateur a été nommé car MK2 Bibliothèque a 16 salles, et nous on arrivait dans la liste des recettes, à la sixième place. Donc, on aurait pas dû être viré mais on a été viré quand même…(il explose de rire). On était sixième sur seize. Au lieu de ne virer que les dix derniers, ils nous ont viré avec (rire).
Ca m’amuse, vous me voyez rigoler, je ne suis pas en train de pleurer. Je m’en fous. Je m’en fous parce que l’autre jour, je regardais Ciné…Ciné…Cinéma…Cinéclassics…et Jean-Pierre… Jean-Paul ?…Jean-Bernard ?… Jean-Jacques Bernard disait que Le Cheik blanc de Fellini – j’ai été l’assistant de Fellini pour La Strada – avait tenu trois jours. Après, je me suis tapé une liste que m’a filé Jean-Claude Romer, qui est un spécialiste. Alors : Jeux interdits retiré de l’affiche au bout d’une semaine, La règle du jeu, Drôle de drame, évidemment…La grande illusion, Casque d’or : échec total. On peut continuer. Là, je ne parle pas de Diva (de Jean-Jacques Beinex, ndlr) ou des choses comme ça. À la limite, ça m’amuse. Je serai très peu payé. Je toucherai le prix que va toucher mon assistant. C’est très bien car je ne suis pas un type d’argent, je m’en fous, mais je ne m’achèterai pas une Ferrari avec. Sûrement pas. D’ailleurs, même si j’avais gagné de l’argent, je ne me serais pas acheté une Ferrari, je l’aurais investi dans un autre film. Mais tout cela fait que je suis obligé de partir aux États-Unis puisque je ne peux plus travailler en France. Avec cet échec…enfin ça ne sera pas un échec véritable puisque par rapport aux salles que nous avons, c’est un succès. Mais par rapport à un autre Villeret/Serrault, c’est un échec. On va terminer à maximum 150.000 entrées dans toute la France, alors que n’importe quel Serrault fait 600.000 ou 700.000 entrées ! Peut-être que Villeret ne voudra plus refaire le truc, je ne sais pas ? Mais il est courageux, il va peut-être accepter, parce qu’on avait un truc en chantier, ça s’appelait Le bénévole, sur le bénévolat. Ca devait normalement être une énorme affaire à la suite de ce succès que nous escomptions faire. Bon, ce n’est pas la première fois de ma carrière que j’ai un film à qui on coupe les ailes, sinon les couilles. Il y a eu Une nuit à l’assemblée nationale à cause de la photo des 450 députés qui étaient en train d’avouer leur faute tout nus dans l’hémicycle. Ca m’a valu quatre ans de censure totale. Le miraculé, malgré son succès, m’a valu la haine du Front National, de plein de gens qui arrachaient les affiches, qui rayaient ma voiture. Donc, je connais bien ça. Mais là, c’est autre chose. Cette espèce de jalousie des monopoles. On aurait préféré que Gaumont produise le film. Ils auraient donné les salles et il n’y aurait pas eu de conflit. Je l’avais fait pour Agent trouble et Les saisons du plaisir. Ca a été produit par d’autres gens, il n’y a pas eu de problèmes, on avait des salles. Maintenant, si on veut faire Le bénévole, avec la même équipe…c’était notre projet de prendre Villeret, Serrault, d’y ajouter Dieudonné, Bacri…d’autres artistes. Mais on ne va pas pouvoir le faire. Donc, je vais aux États-Unis. En attendant, je viens de faire un film de transition que j’ai terminé il y a deux jours et qui s’appelle Touristes, Oh ! Yes. Il n’y a pas de vedettes, mais Walt Disney a acheté. Mystères et boule de gomme !? Il ne l’a pas acheté cher, mais il l’a acheté. L’autre événement Mocky de l’année, c’est que Pathé a pris toutes mes cassettes en DVD. Ce sont deux éléments positifs de mon année. Maintenant, je m’en vais. Je vais faire un film avec John Malkovitch qui est un copain. Ce n’est pas la même chose que Villeret, mais c’est un peu le même système. Je ne vais pas tourner exactement aux États-Unis mais à Londres. Quand je dis que je pars aux États-Unis, je pars comme Roman Polanski, en passant par Londres. Roman avait fait Répulsion et Cul de sac en Angleterre. Je suis le même chemin. Dans Touristes, Oh ! Yes, il n’y a pas une seule phrase. C’est un film muet, avec des onomatopées, sans dialogues. C’est l’originalité, c’est pour ça qu’il a été acheté par Walt Disney. Il peut être projeté dans n’importe quel pays dans la version d’origine. Il n’y a que 2,3 petits sous-titres de rien du tout. C’est international. J’espère faire un succès à la Tati. Parce que c’est un peu le même succès que Jacques. Un film muet, ça n’a pas été fait depuis 20 ans. Ca va peut-être marcher ? C’est très drôle. Les acteurs sont remarquables, ce sont des gens complètement inconnus.
C’est un film très visuel ?
Oui, c’est pour ça qu’on pense qu’il fera le tour du monde. On l’a déjà montré à des Japonais qui riaient comme des bossus : ils ont tout compris.
Sur quoi est basé votre burlesque ?
Vous vous rappelez Les vacances de Monsieur Hulot ? Bon, ce n’est pas Les vacances de Monsieur Hulot, parce que ça ne se passe pas sur une plage. Ça se passe à Paris, c’est l’histoire d’une famille hollandaise qui ne parle pas un mot de rien. Ils ne peuvent pas se faire comprendre, c’est pour ça qu’il n’y a pas de dialogues. Et en plus, l’interprète est sourd, et la femme du type est muette…enfin elle a une extinction de voix. Avec ces éléments là, on a fait un film qui est le cousin germain de Monsieur Hulot puisqu’il s’agit des vacances d’une famille qui, à la fin, se disloque. Ils sont 7 au départ. 4 vont rester à Paris et quitter leur famille. C’est un peu le côté nostalgique de ces gens qui, quand ils partent à l’étranger, attendent des aventures alors qu’il ne se passe jamais rien. Là, le côté pute du film, c’est de se dire qu’ils sont partis à 7, et qu’ils reviennent à 3. Il y a le grand-père qui était homosexuel, qui en avait marre de sa grosse dondon et qui va se taper un danseur. Après, il y a la grand-mère qui en avait marre de son mari homosexuel et qui est parti avec un vieux pizzaïolo. La fille qui correspondait avec un trompettiste à Paris, va rester avec lui. Et finalement, ils vont ramener une noire qu’ils ont trouvé et qui n’avait pas de domicile. Une clandestine. Et ils vont faire un ménage à trois à la fin. Le personnage principal est une sorte de Buster Keaton, il s’appelle Antoine Cholet. Il est très bien. Il est un peu ce qu’était Benoît Poelvoorde au début. Tout le monde est très bien. La noire est très belle, très naturelle.
Pour en revenir au Furet, on peut aussi voir le film comme une sorte d’autoportrait, c’est-à-dire qu’on pourrait imaginer que le personnage du furet liquide tous les mafieux du cinéma, des réalisateurs, des producteurs …
…Oui, si vous voulez…il y avait un scénario comme ça de Knobelspiess que Gérard Blain et moi avions fait sortir de prison. Il avait écrit un scénario : un type passe 5 ou 6 ans en prison à étudier toute l’actualité en lisant les journaux. Et à la fin, il avait une petite aiguille…c’est pour ça qu’à la fin du Furet, Villeret tue un ministre avec une sarbacane. Il avait inventé un personnage qui allait, par exemple, à la fête du 14 juillet à l’Elysée et qui piquait tranquillement au curare (rire) tous les mecs importants. Knobelspiess avait accumulé une telle haine, qu’il était prêt, en sortant, à faire une sorte de Jack l’éventreur de la politique. Au lieu d’éliminer des putes, il élimine des politiques qu’il estime être des salauds.
Le furet est un personnage qui n’arrête pas de dire qu’il aimerait bien qu’on reconnaisse son talent. Cette soif de reconnaissance vous ressemble beaucoup aussi …
Mon talent – si j’en ai – il faudrait qu’il soit reconnu par tout le monde. Pour le moment, il est reconnu par une catégorie de gens. C’est sectaire. Quand on dit que je suis libertaire, ce n’est pas faux, puisque je n’intéresse qu’une partie de la population. La preuve c’est que les gens ne se battent pas aux guichets. Le crémier ne vient pas voir mon film. C’est plutôt une catégorie de gens qui se placent dans tous les milieux d’ailleurs. C’est ce qui me distingue de gars comme André Téchiné, Éric Rohmer ou Claude Chabrol. Ils ont des clients attitrés, qui sont presque des sosies d’eux. D’ailleurs, quand on va dans une salle, on pourrait presque dire, sans regarder le film, juste en regardant les spectateurs : « Ah ! ça, c’est des Rohmeriens, ça c’est des Chabroliens… ». Le réalisateur crée la salle. Si vous venez à une de mes salles, vous allez voir la tête des gens qui sont dedans, ils sont tous différents.
Pour revenir au casting du Furet, outre Villeret et Serrault, pourquoi avoir choisi Michaël Lonsdale, Robin Renucci, et surtout Dick Rivers et Karl Zéro, deux personnalités qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma ?
Lonsdale, j’ai fait 9 films avec lui. On a tourné notre premier film ensemble en 1961, Snobs. Un film assez violent à l’époque, et toujours un petit peu aujourd’hui. Lonsdale, c’est moi qui l’ai trouvé. Jean-Pierre Marielle, mon collègue de conservatoire, devait jouer le rôle et il avait été empêché. Lonsdale est un acteur prodigieux. Il n’a pas la place qu’il mérite. Bien qu’il ait tourné James Bond, il n’a pas réussi à avoir la carrière cinématographique qu’il aurait dû avoir. Il fait partie de cette race d’acteurs, avec des gens comme Roland Dubillard, Laurent Terzieff, qui se sont plutôt consacrés au théâtre. Il s’est consacré aussi à la liturgie, c’est un mystique. Il chante dans des églises, il participe à des congrès monastiques. C’est un personnage assez étonnant. C’est un grand ami, un frère. Si on peut appeler ça un frère, parce que le fait qu’il soit très ouvert sur Dieu, nos relations sont presque de moine à moine. C’est très curieux comme relation. Je ne suis pas du tout religieux donc ça me gêne quelque fois. C’est un type qui est incapable d’une colère, il a un côté très ouvert… Karl Zéro, c’est un type que j’ai admiré une fois. Un jour, j’assistais à la centième de son Nouveau journal (Le vrai journal sur Canal+, ndlr). Il y avait une réception. Il y avait sa mère. Il est formidable parce qu’il a les mêmes origines que les Marx Brothers. C’est un juif-alsacien. Et leurs mères respectives se ressemblent ! Ca a été la première chose. À la centième de son émission, il y avait Madelin, Jospin, Pasqua, Rocard, Charras, je ne vais pas tous les citer. C’est tout juste s’il n’y avait pas…De Villiers et puis machin…Chirac ! Je me suis dis que ce petit gars de Karl Zéro fait tellement peur, que tous ces gars viennent, même de partis différents, ils ont peur de refuser l’invitation. C’est hallucinant ! Moi, je ne pourrais pas réunir tout ça ici. Je ne suis pas assez puissant sur ce plan là. Lui, grâce à cet espèce de journal, il a pu faire ça ! C’était mon premier motif d’admiration. Deuxièmement, c’était réciproque. Il m’a dit un jour : »Écoute Mocky, j’aime tes films ! ». Il a fait un film qui n’était pas très bon (Le tronc, ndlr), il a voulu faire de la mise en scène. Il s’est arrêté et je lui ai dis : « Karl, un jour, si tu veux faire un film avec moi… ». Et il est venu en participation totale…Bon, les autres, il y a Dick Rivers, qui est un chanteur. J’ai déjà utilisé beaucoup de chanteurs. C’est moi qui ait révélé Aznavour au cinéma dans La tête contre les murs (de Georges Franju, ndlr) et Les dragueurs. Après ça été Nino Ferrer, Dutronc et Eddy Mitchell. J’ai beaucoup travaillé avec des chanteurs. Dick est de Nice et a une tête de gangster, donc j’ai pensé à lui. Robin Renucci, c’est le roi des acteurs de télévision avec Arditi. C’est un acteur rare. Il a fait beaucoup de rôles mais jamais un rôle de flic. Je lui ai demandé s’il voulait faire un flic un peu camé, avec une boucle moderne. C’est un peu le style de flic moderne. Autant le personnage de Serrault, c’est Pépé le Moko, à cause de la façon dont il joue. Autant Renucci, c’est moderne. Patricia Marzi qui est ma femme fait un médecin légiste. Tous deux en ont marre de ces professions pourries et ils vont finir par élever des cochons.
Dans vos films, les acteurs ont un jeu très particulier : exagéré, très guignol. Qu’est ce que vous recherchez exactement quand vous dirigez un acteur ?
Des acteurs sobres, il y en a. Mais les gens qui jouent sobre paraissent faux. À la limite, il est moins faux d’exagérer les choses que d’essayer d’être naturel. Parce que jamais personne n’est naturel au cinéma. On ne peut pas être naturel. Par contre, on peut jouer le naturel. Au théâtre, vous pouvez être naturel parce que vous êtes embarqué dans la pièce sans interruption. Au cinéma, l’acteur fait ça par morceaux, il faut qu’il s’y replonge à chaque fois. Ça donne (il s’emporte) : « Tiens, passe-moi une cigarette ! » ou des phrases banales comme ça. Et on se dira qu’il est super, mais si on observe bien ces acteurs, ils sont faux, il en font trop dans le naturel. Ils jouent le naturel. J’ai même vu des acteurs se gratter, pour faire vrai, parce qu’ils ont vus quelqu’un faire ça. On en arrive aux exagérations de James Dean ou de Marlon Brando se passant une bouteille de soda sur le front pour se désaltérer. Des trucs que personne ne fait mais qui donnent l’impression d’être naturel. Et puis, vous avez l’autre équipe : Louis Jouvet, Fernandel, pour citer des vieux…Coluche…Saturnin Fabre…
Vous parler de Saturnin Fabre. On a l’impression justement que vous lorgnez vers ces acteurs excentriques des années 30 et 40.
Oui, c’est ça qui me fait marrer. Si c’est pour reproduire un type qui dit : « Donne-moi des gauloises ! », ça me fait chier. Surtout quand le type a un physique tout à fait banal et qu’il n’a aucun charisme. Ça fait un blanc dans le film. D’ailleurs, on voit très bien dans L’affaire Dominici (de Pierre Boutron, ndlr) la différence qu’il y a entre Serrault et les autres acteurs. Ils ont l’air de sortir d’un patronage. Et encore, dans les patronages, on joue mieux que ça. Moi, je suis pour l’école du cirque. Le cinéma, c’est du cirque. Dans Le passager de la pluie (de René Clément, 1969, ndlr), Bronson a une noix qu’il broie tout le temps dans la main comme ça (il fait le geste). C’est sa couille, en fait. Dans Scarface (de Howard Hawks, 1932, ndlr), George Raft joue avec une pièce. Quand je prends un acteur, je lui met des fausses dents parce qu’il faut qu’il change ! L’autre jour, j’étais avec Alain Delon. Il m’a demandé quand est-ce qu’on allait tourner ensemble. Je lui ai répondu qu’on ne tournera ensemble que quand il se sera rasé la tête, quand il n’aura plus de cheveux. Il fait l’inspecteur Fabien machin (Fabien Montale, série TV, ndlr), après l’autre inspecteur, encore un autre inspecteur…et il a toujours la même tronche. Alors qu’un De Niro, lui, il grossit pour un film. Les Américains font ça depuis toujours. Ils ont des tics aussi. Tous les grands acteurs ont eu des tics : WC Fields, les Marx Brothers, Laurel et Hardy etc…C’est ça les acteurs ! Mes amis Pierre Arditi et André Dussolier sont formidables, mais pour le théâtre.
À entrer dans un jeu guignolesque et excessif, est-ce qu’il n’y a pas un risque à ce que les acteurs perdent leur part d’humanité et deviennent caricaturaux ?
Non, parce que dans Le furet, je ne vois pas un personnage plus humain que le furet. On le voit rire, on le voit en famille. C’est une personnalité excessive, mais c’est comme les clowns : ils en font plein, et par moments, il y a de l’émotion qui passe. Mais c’est quelque chose de très bref…
Mais ce risque, est-ce une chose à laquelle vous pensez quand vous dirigez vos comédiens ?
Oui, on y pense, mais prenons la scène de cirque du furet. À un moment, il regarde sa femme et dit : « Même quand je ne serai pas là, je serai toujours là ». Cette phrase est suffisante pour comprendre qu’il va aller baiser des blondes mais qu’il restera toujours avec sa famille. On ne va pas faire des scènes à la Pagnol où il lui dit (emphatique): « Je resterai avec toi ma chérie, ne t’en fais pas ! ». Un texte grandiloquent ou misérabiliste n’est pas nécessaire. L’humanité de ce personnage est bien là : on le voit tendre avec ses enfants, il leur donne de l’argent, etc…Il y a un autre moment où le furet regarde un mannequin automate dans une vitrine de magasin. Ces deux moments suffisent à humaniser le personnage. Quant au personnage de Serrault, également très excessif, il meurt d’une crise cardiaque en disant qu’il était un spahi (cavalier de l’armée française appartenant à un corps algérien, ndlr). Il faut aimer ça ! Le public est habitué à voir Navarro demander à sa fille si elle est a ses règles… c’est de la fausse humanité. Tous ces films comme Le coût de la vie (de Philippe Le Guay, ndlr), retracent une fausse humanité. L’humanité, c’est Zola. Faut voir ce que c’est que Zola !
Outre la direction d’acteur, ce qui caractérise particulièrement votre cinéma, ce sont ces seconds rôles étranges qui peuplent vos films : Dominique Zardi, Jean Abeillé… On a l’impression qu’il n’y a plus que chez vous qu’on voit des seconds rôles excentriques.
Aux États-Unis, ils utilisent encore de bons seconds rôles. Souvent des acteurs inconnus, italiens ou mexicains. Federico Fellini, dont j’ai été l’assistant, avait besoin d’une mangeuse de spaghettis qui soit grosse. On a cherché, on l’a trouvée dans un restaurant. La dame était vraiment en train de manger des spaghettis. On l’a attrapée et mise tel quel dans le film. En France, on a des bons et des mauvais seconds rôles. Moi, j’ai une équipe. Je l’enrichis de temps en temps quand, malheureusement certains disparaissent. C’est comme dans un jeu d’échec, vous remplacez le cavalier, vous remplacez la tour. Là, par exemple, j’ai un nouveau gros. Quand le filiforme meurt, quand le nain meurt, je le remplace. Mais on a de plus en plus de mal à les remplacer. On prend le cordonnier du coin ou l’éboueur, le secrétaire du maire. On prend des gens qui ont des tronches parce que le cinéma, c’est des tronches. D’ailleurs, à l’époque, ce n’était que ça. Et peu à peu, les seconds rôles sont devenus des premiers rôles. Par exemple, du temps de Michel Simon, Raimu, Harry Baur… Serrault et Villeret auraient été seconds rôles. Ils auraient servi la soupe. Mais ils sont montés en première ligne et ont abandonnés leur statut de second rôle. Il faut se souvenir du film Les diaboliques (de Henri Georges Clouzot, 1954, ndlr) où Serrault avait juste deux scènes. Maintenant, Serrault a toutes les scènes, et les gens qui viennent derrière n’ont plus la même personnalité qu’un Serrault, qui lui-même, en avait moins que Jules Berry. Vous comprenez, c’est par échelon. Aux États-Unis, c’était pareil. Lee Marvin était un second rôle, devenu premier rôle parce qu’il n’y avait plus de Gary Cooper, de Spencer Tracy et D’Humphrey Bogart. Il n’y a qu’au Japon qu’on ne s’en rend pas compte, ils ont tous la même tête. Eux doivent voir la progression, mais nous on ne la voit pas…
J’ai appris que vous vous baladiez souvent avec un appareil photo et que vous essayiez de contacter ensuite les « gueules » que vous aviez rencontré…
Ils ne veulent pas. Un jour, pour Le miraculé, j’avais besoin d’un type avec un grand nez. Un nez terrible. Et c’était difficile à trouver. J’étais dans une voiture et brusquement, à un feu rouge, on voit s’arrêter un type avec un nez qui touchait presque la vitre. Alors, je lui demande s’il veut faire du cinéma. Là, le type me montre son nez et puis il est parti car il a compris que je voulais l’utiliser. Quand un personnage est par trop extravagant, par trop extraordinaire, qu’il a une tête comme si on l’avait torturé, parallélépipédique ou trapézoïdale, le type refuse. Il ne veut pas. Il croit qu’on va se foutre de sa gueule. C’est terrible ! C’est difficile à recruter. Mais bon, il y en a qui acceptent.
Est-ce que vous vous servez aussi de ces photos pour trouver des idées de personnages ?
Je travaille beaucoup avec les journalistes. Sur 46 films, il y en a une bonne quinzaine qui sont issus de faits divers. Par exemple, Le miraculé, La grande lessive, L’étalon, Solo, j’ai pris ça dans l’actualité. Des articles de presse ou des trucs que j’ai entendu à la radio. Dans La grande lessive, Bourvil foutait en l’air toutes les antennes de télé parce que les enfants la regardaient trop. Il y avait aussi Jean Poiret, en directeur d’une télévision fictive qui s’appelait l’ORBF. Il utilisait un système de clé pour que les enfants ne regardent pas la télé. Dans ce film de 1968, j’avais trouvé cette astuce qui s’applique aujourd’hui. Aux États-Unis, ils font ça avec une puce. Toute cette histoire avait été prise dans un fait divers. La nuit, dans un petit village, un instituteur passait avec un copain et enlevait toutes les antennes…L’étalon, c’est parti d’une conversation que Bourvil et moi avions entendu dans un café. Solo, c’était cette bande de jeunes qui étaient des précurseurs de la Brigade Rouge. C’étaient des jeunes, réunis dans un café, chez Dupont, boulevard Saint-Michel. Au lendemain du 10 mai 68, quand la révolution s’était arrêté, ils s’étaient dit qu’il fallait continuer. Et je les ai entendus, moi, et c’est de là qu’est né le film. L’Albatros, c’est un des mes assistants qui, allant chercher des cigarettes, a disparu. Il avait été pris dans une manifestation, torturé par les flics. Il s’était battu et avait pratiquement tué un flic en se défendant. On parle toujours des types qui reçoivent des coups de matraque, mais il y en a qui se défendent. Donc, il était en état de légitime défense, mais comme c’était un flic, il a eu les pires emmerdements : il a passé trois ans en prison. Il s’est évadé parce qu’il avait 5 enfants et une femme. C’est devenu l’histoire de l’Albatros.
Est-ce que les personnages sont très écrits dans vos scénarios ou est-ce que vous les cherchez avec l’acteur ?
Quand on a eu les acteurs que j’ai eu, de Bourvil à Fernandel en passant par Michel Simon, Philippe Noiret, Alberto Sordi, des gens comme ça, on ne peut pas leur apprendre leur métier. On ne peut pas faire le Bresson, on ne peut pas leur donner des indications comme si c’étaient des cons, des novices. La seule chose qu’on peut faire, c’est de choisir au début du film un costume pour l’acteur. C’est ce que j’ai fait avec Serrault pour Le furet. On s’est mis d’accord sur une chéchia pour casser son image de grand-père à moustache qu’il balade depuis 3 ou 4 films, Une hirondelle ne fait pas le printemps, Le papillon, etc…On lui a mis sa chéchia, on lui a teint les cheveux, un petit peu seulement, parce qu’il tournait l’Affaire Dominici après. Quand il enlève sa chéchia à l’église, on voit qu’il n’est pas complètement teint. Et puis, il a cette façon « violoneuse » de parler. Ce n’est pas le Saturnin Fabre et son « Tiens ta bougie droite » (dans Marie-Martine, d’Albert Valentin, 1942, ndlr), ce n’est pas Louis Jouvet solitaire dans un parc (il imite Jouvet) : « Deux ombres sont tout à l’heure passées… ». Mais c’est un peu ça quand même dans la mesure où il y a des nuances terribles dans la voix. Dans Le furet, Serrault compose un espèce de vieux spahi cauteleux. Il reprend des personnages du répertoire. Il y a des personnages de ce genre dans les classiques. Ce n’est pas Tartuffe, mais il prend dans la galerie des grands personnages de théâtre. La seule chose qu’il faut faire, c’est de l’empêcher d’en faire trop. C’est ce que j’ai déjà essayé de faire avec Fernandel, parce qu’il faisait toujours ça (il fait une grimace, imitant Fernandel). Je n’ai jamais travaillé avec De Funès, mais si j’avais travaillé avec Fufu, j’aurais essayé de lui donner un rôle dramatique…bon, ça ne s’est pas fait. Pour Le furet, j’avais dit à Villeret : « Tu es Peter Lorre dans M le Maudit et pour le côté hargneux, tu es James Cagney dans L’enfer est à lui » (de Raoul Walsh, ndlr). Donc, il a pris ces deux cassettes. Quand à la fin de L’enfer est à lui, James Cagney, debout sur des réservoirs, crie : « Maman ! toujours plus haut ! », c’est tiré plus ou moins de ça. Pour M le maudit, Peter Lorre ne riait pas vraiment, mais il avait un petit sourire avec les petites filles…il allait dans la nuit comme ça…
Et puis le dos courbé aussi…
Oui, voilà, il s’est inspiré de ça. Mais contrairement à M le maudit, il nargue la police sans arrêt. Pour les autres…Lonsdale, je lui ai fait prendre une voix à la Marlon Brando dans Le parrain. Une fois qu’on a dit ça, il faut surveiller le gars. C’est comme quand on surveille un pot-au-feu qui cuit, si vous voulez. Il faut arrêter le pot-au-feu s’il est en train de brûler (rire).
Et vous-même en tant qu’acteur, vous jouez encore régulièrement dans vos films, mais une de vos dernières apparitions, c’était dans Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma de Jean-Luc Godard. Ça vous intéresserait encore de jouer chez un autre cinéaste ?
Ça, c’est encore la différence entre le marché français et le marché anglo-saxon. Quand un réalisateur comme moi, qui a une certaine facture, une certaine personnalité par rapport aux autres, joue dans le film d’un autre, l’autre a peur qu’on dise que c’est le gars qui a fait le film ! C’est arrivé plusieurs fois…Quand Chabrol a tourné son film à Paris avec Orson Welles, je ne me rappelle plus du titre…(La décade prodigieuse, ndlr). Ça n’a pas raté. Quand le film est sorti, un critique d’un très grand journal, je crois que c’était L’observateur, a écrit que la scène du dîner, c’est la scène de La Splendeur des Amberson, donc que Orson Welles aurait participé à la mise en scène…
Peut-être que Chabrol s’amusait là à faire un clin d’œil au cinéma de Welles…
Peut-être…Néanmoins, Chabrol a de l’esprit, tandis que d’autres réalisateurs n’en ont pas. Donc, le fait de prendre Mocky, Godard s’en foutait, parce que Godard et moi, on est tellement amis. Il n’y a pas d’inimitié possible. Il a pris le risque. On est frères d’armes tous les deux. On se connaît tellement bien. Mais supposez que j’aille chez Klapisch, chez Ozon…ces gens-là ont leur truc, et engager un type comme moi, même s’ils en avaient l’idée, ils vont se dire que ma présence sera comme un canard noir parmi les canards blancs. Les gens vont se dire : « Mais qu’est-ce qu’il vient foutre là ? ». J’ai eu dernièrement deux propositions : je devais faire Saint-Jean pour Martin Scorsese dans La dernière tentation du Christ. Je n’ai pas pu, pour des raisons totalement indépendantes de ma volonté. Je tournais moi-même un film et je ne pouvais pas l’arrêter. Oliver Stone, aussi. Ça, ce sont des amis. Mais après, j’ai eu une demande en Australie d’un réalisateur qui voulait que je joue le père de Nicole Kidman. En France, j’ai des tas de propositions, mais pour des courts métrages. Des jeunes viennent me voir. Ils ne craignent pas, semble-t-il, qu’on dise que c’est moi qui ait fait le film ! Voilà pourquoi c’est difficile en France d’être amis avec des réalisateurs. C’est peut-être plus facile aux États-Unis. Encore qu’Oliver Stone n’est pas ami avec tout le monde. En France, il y a des chapelles. L’autre jour, j’ai appris avec stupéfaction, que l’un de mes plus grands admirateurs était Jean-Marie Poiré ! Par contre, hier, Jacques Rozier m’a appelé, il adore Le furet, il m’a téléphoné pendant une heure. C’est un peu bizarre qu’un type comme Rozier aime ce que je fais. Godard aussi, puis Éric. Il aime bien mes films, Éric Rohmer. J’ai des supporters parmi certains réalisateurs, mais ce n’est pas pour ça qu’ils m’engagent.
Vous avez joué chez Godard, mais lui avez-vous aussi proposé de jouer dans l’un de vos films ?
Absolument ! Mais l’affaire a mal tournée malheureusement. Très mal tournée. Avec Jean-Luc, on avait eu l’idée de lui faire jouer le rôle de Michel Simon dans La chienne (de Jean Renoir, ndlr). On aurait pris Juliette Binoche pour faire la chienne. Et puis le troisième, c’était…pas Brad Pitt, mais…Benoît Magimel pour faire le rôle du maquereau. L’affaire a mal tournée. Il y a eu des histoires avec Binoche. Les financiers du film ne croyaient pas à Godard acteur. Et Juliette Binoche avait envie de faire passer une audition à Godard pour le rôle. Elle avait envie de tourner, mais elle se demandait ce qu’il allait donner. Godard a évidemment refusé. Il a dit : « Mais qu’est-ce que c’est cette conne, comment elle peut me demander à moi, metteur en scène, de faire des essais ? ». Enfin, bref ! En plus, Binoche ne m’aime pas beaucoup. J’ai des acteurs comme ça…On dit souvent que tous les acteurs m’aiment. Ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a des acteurs qui me détestent. Il y a des allergiques. Le principal est Gérard Lanvin. Pourquoi il ne m’aime pas ? On ne sait pas…Il ne veut pas le dire…
Il ne veut peut-être pas se couper les cheveux !
Non, mais là, c’était pour Vidange. Il devait jouer avec Huppert. Isabelle est aussi une cliente que je n’ai pas eue dans mes films. J’ai eu Azéma, Birkin, Deneuve, machin, truc, mais elle je ne l’ai pas eu. Sophie Marceau aussi ne veut pas. Lanvin et Marceau, je ne peux pas les réunir. Remarquez, je ne regrette pas ! Ce n’est pas ma tasse de thé non plus. Peut-être qu’ils sentent qu’ils n’ont pas assez de personnalité pour les films que je fais !?
On a aussi l’impression que le point de départ de vos films est l’envie de tourner dans un certain décor. Le décor est aussi un élément clef de votre cinéma…
Oui, parce que j’aime Paris. Certaines villes de province aussi. Surtout l’Alsace et la Lorraine. Je suis d’origine de l’Est. J’aime tous les paysages lourds, où il y a du brouillard, de la pluie, des immeubles en béton ou en gothique. D’ailleurs, je passe plus de temps à chercher les décors que les acteurs. Je n’aime pas le blanc, par exemple. Quand j’ai fait une clinique pour Litan, c’était une clinique ancienne. C’était angoissant. Parce que les trucs blancs !… Ce que je reproche aux comédies d’aujourd’hui, c’est d’être tournées dans des décors de publicité pour les frigidaires. Les acteurs sont dans des appartements contemporains blancs…deux meubles Habitat…ça n’a pas de classe ! C’est un soucis que je partage avec Max Ophüls que j’ai très bien connu. Lui ne pouvait pas travailler si le décor était trop plat. Donc, il créait des grilles, il faisait des rideaux…ce qu’on appelle des avant-plans qui étaient augmentés par une lumière. J’ai eu aussi de très grands opérateurs. J’ai eu l’opérateur de M le Maudit et Métropolis. Ils m’ont enseignés la profondeur de champ. Il n’y a plus ça aujourd’hui. C’était l’expressionnisme allemand. On éclaire le premier et le troisième plan, pas le second. Aujourd’hui, c’est le règne du truc parapluie, genre publicité. On met une lumière sur le plafond avec un parapluie, et hop, c’est fini ! C’est hideux, enfin pas vraiment, mais il n’y a pas d’ombre, ni rien. Dans Le furet, quand les gens voient cette lumière, ils sont décontenancés, car ils n’ont pas l’habitude de cela. Les spectateurs sont étonnés par le délire des acteurs, qui n’est pas celui des autres films, et par les décors qui sont photographiés d’une certaine manière. Quand on monte dans une voiture dans le cinéma de Sautet, on a l’impression de voir la sécurité routière.
En voyant Le furet, j’ai essayé de m’imaginer le film en bande dessinée…J’ai l’impression qu’il y a des passerelles entre votre cinéma et la BD. Est-ce un genre qui vous a influencé ?
Oui, d’ailleurs j’ai connu beaucoup de gens de la BD. J’étais très amis avec Reiser, Cabu, Topor. Roland Topor avec qui j’ai travaillé d’ailleurs (il se retourne et montre du doigt l’affiche placardée sur le mur de son salon de L’Ibis rouge dessinée par Topor). On était de l’Est tous les deux. À un moment, on dînait tous les soirs ensemble avec Polanski dans un resto où il y avait tous les réfugiés du rideau de fer. Les gens de la BD adorent mes films. Même les gars des effets spéciaux, Jean-Pierre Jeunet … Ils sont très proches de moi. Jeunet avait dit un jour que je l’avais influencé. Maintenant, il ne le dit plus. Il le disait à l’époque.
Dans M le Mocky, votre autobiographie, vous dîtes que sur les quelques 40 films que vous avez réalisés, je cite : « Aucun n’a été à la hauteur de ce que j’avais conçu, aucun n’a été réalisé comme je l’avais imaginé dans le coït initial. J’aime le coït, pas l’enfant ». Pourquoi reniez-vous vos films ?
Prenons deux cas fameux. Titanic de James Cameron et Lola Montès de Max Ophüls. Ce sont des films considérés par leurs réalisateurs comme parfaits. Je n’ai pas eu la chance de ces gens-là, Ophüls, Wilder adorait Certains l’aiment chaud. J’ai bien connu Wilder l’autrichien. Ils ont eu de la chance, car d’une manière ou d’une autre, ils sont allés aux États-Unis. Ils n’ont ruiné personne, pas comme Von Stroheim. Bref, ils considèrent que leurs films sont bons. Moi, je n’ai jamais eu la possibilité de faire ce que je voulais. L’ensemble des 47 films que j’ai réalisés ne coûte qu’un peu plus cher que le seul film Laissez-passer de mon ami Tavernier.
Pour vous, c’est l’argent qui fait la qualité d’un film ?
Oui, parce que ça vous pose un tas de problèmes. La figuration déjà. Quand vous avez un café vide alors qu’il doit être plein, c’est un défaut. La voiture n’est pas celle qu’on voulait. Il n’y a pas trois voitures de flics, il n’y en a qu’une…ce n’est pas du caviar dans les assiettes, mais de la merde, etc…On voulait tourner chez Maxim’s, on a fini par tourner dans la brasserie du coin, car Maxim’s demande 100.000 balles ! Tout ça, ça s’additionne. D’où le fait qu’on me dise que je bâcle mes films. C’est bâclé par moments, par manque de moyens. Je ne peux pas me balader en disant que ce que j’ai fait est génial. Le peintre peut modifier certaines choses. Un ciel trop gris, il retouche.
Mais ne croyez-vous pas que c’est à cause de ça qu’on aime votre cinéma ?
Ça devient une qualité, mais pour les autres, pas pour moi. Moi, je vois ce que j’aurais pu faire. Là, j’ai 3 ou 4 films importants qui nécessitent des budgets colossaux, mais je ne pourrai jamais les faire. Le film avec Orson Welles, Anthony Quinn, Henry Fonda, et Marlon Brando ne s’est jamais fait. J’avais aussi Fleur de rubis avec Belmondo, Adjani, Noiret, Serrault…Sami F…euh…Sean Penn, qui ne s’est jamais fait. J’ai deux bouquins de Von Stroheim, Paprika et Poto-Poto, qui ne se sont jamais faits. Je garde la nostalgie de faire des œuvres plus ambitieuses que celles que j’ai faites. Il faudrait que je rencontre un milliardaire, que je gagne à la loterie. Que je rencontre un de ces vieux milliardaires usé, fatigué…J’ai failli avoir ça avec Bouygues ! Dans les dernières années de sa vie, il était amoureux de mes films. Un jour, il m’a convoqué dans son bureau. Pour ce fameux film dont je viens de parler avec Belmondo et Adjani. Il a payé une double page dans le Film Français et m’a dit : « Mocky, tu auras ton grand film ! Je mets 20 milliards ! ». Un jour à la radio, j’entends que Bouygues est mort à Saint-Malo. Ça s’est terminé comme ça. Evidemment, les enfants n’en avaient rien à foutre. Ça aurait été ma chance. Bouygues était un type bien, il s’était fait tout seul. Les gens qui sentent approcher la mort, se rapprochent de gens qu’ils ont pu aimer…ça s’est passé pour beaucoup d’artistes, mais pour moi, malheureusement, ce truc-là n’arrive pas. Bunuel a été remorqué par Silbermann. Autrement, il n’y aurait pas de Bunuel. Il s’était arrêté de travailler. C’est monsieur Serge S ilbermann qui vient de mourir qui l’a requinqué, qui l’a ressuscité. Malheureusement Welles n’a jamais été ressuscité, il était tellement particulier !
Si vous deviez sauver un film parmi ceux que vous avez réalisés, quel serait votre Lola Montès ?
Mon Lola Montés c’est…Litan…
Pas Solo ?
Pas Solo. Solo est un bon film. Litan est un film fantastique, qui a eu le Grand Prix à Avoriaz. Le fantastique est un genre que j’aurais aimé faire. C’est un film fantastique dans la tradition de l’Est, de la Lituanie. C’est comme ça qu’on voit les films fantastiques là-bas. Mais ils n’en font pas. Les russes considèrent presque le fantastique comme un pêché. Les gouvernements totalitaires ne voulaient pas qu’on parle des morts. Les russes n’ont jamais eu de films fantastiques. Ils ont eu des films de guerre…
Il y a eu Tarkovski !
Solaris, oui, mais c’était de la science-fiction, un peu pesante…Litan, c’est le film que j’ai aimé parce que il y avait des décors, il y avait l’idée de la mort, des feu follets dans les cimetières. C’était quelque chose qui me faisait rêver quand j’étais petit, et c’est le seul film qui reflète bien mon enfance. Dans l’Est, on faisait peur aux enfants avec des masques. C’était pas loin d’Halloween. Les paysans se déchaînaient. Il n’y avait pas de citrouilles mais des sorciers avec des masques horribles. Les enfants avaient peur de ça. Quand ils n’étaient pas gentils, on leur disait qu’ils allaient revenir. Et puis, c’est un film flamboyant, un peu gothique. Dans le fantastique, on peut se livrer à un tas de facéties. Je me rappelle que j’ai failli me battre avec John Boorman parce qu’il n’aimait pas le film. Boorman avait hué pendant la distribution des prix quand Jeanne Moreau avait annoncé que j’avais gagné. Lautner, qui est un brave gars, était dans le jury aussi, il a attrapé Boorman et lui a dit : « Espèce de salaud, c’est un confrère ! » . Boorman était assis à côté de Brian De Palma, et ils se sont foutus de mon film au moment où j’ai eu le prix. Et c’est là où je me suis rendu compte que le film était intéressant dans la mesure où il n’était pas dans le style de leurs films. Parce que eux travaillaient dans quelque chose de classique et Litan n’était pas classique parce qu’il venait de l’Est. C’était le choc entre l’Est et l’Ouest sur le fantastique. Ils ont regardé mon film avec une haine comme s’ils regrettaient de ne pas faire ça. Ils ne pouvaient pas sacrifier à des lois du genre que je n’ai pas respectées. Ils se sont dit que j’avais réussi à visualiser quelque chose de mon enfance que eux, ne pourraient pas faire parce que ça risquerait de ne pas marcher financièrement. Ils ont peut-être beaucoup plus de possibilités mais ils les canalisent pour pouvoir être dans le show-business. ils se contrôlent terriblement. Donc, ils ne peuvent pas avoir la même inspiration que moi, parce que moi, je m’en fous, je peux faire ce que je veux !
Propos recueillis par Julien Pichené et Laurent Devanne.
Entretien réalisé pour l’émission de cinéma Désaxés et diffusée sur Radio Libertaire le 9 Novembre 2003.
* Là Mocky s’est planté. Il s’agit de Douglas Fairbanks et pas de son fils.