Hisse-et-ho

Posté par Gabriel Cloutier le 21 avril 2008

Ainsi parlait Alain Michel

Carguez les huniers ! Claquepotez les carcaillots! Humissez la grand-voile! Achoppez les tarboulans !
Souquons dans le poussoir! Enhardissez les pistalots et fumez les cales ! Humez les anchoîades ! Baguenaudez-pas dans les quilles ! Abarrez vous à la crache de babord ! Rendez moimonrhum et vrombissez dans la misaine ! Varapouillez les estinguales et crapatez les mormossets de tribord !

Hisse-et-ho dans C'est pas moi qui le dis bouillon

Fatigue.

Publié dans C'est pas moi qui le dis | Pas de Commentaire »

Les beaux jours

Posté par Gabriel Cloutier le 21 avril 2008

Les beaux jours de la division droite-gauche
Entretien avec Marcel Gauchet
« Où va la droite ? », Revue des deux mondes , avril 2008

Michel Crépu
Je vous propose de partir de quelques impressions de lecture.
Vous appréhendez la notion de rupture en décrivant un basculement, une révolution, et en
même temps on a l’impression que vous êtes fasciné par l’enchaînement. On dirait que
ce n’est pas la rupture comme telle qui vous intéresse, mais ce qui, en elle,
contredit la notion même de rupture. C’était déjà cela qui frappait à la lecture du
Désenchantement du monde1 et dans le processus que vous décriviez de la « religion de
la sortie de la religion ». Votre philosophie de l’histoire n’est-elle pas une
philosophie de l’engendrement, du paradoxe des enchaînements successifs ?

Marcel Gauchet
Votre impression est très juste : ce que j’essaie de saisir, ce sont des
transformations. Il y a effectivement du changement dans l’Histoire mais quelle est
au juste sa nature ? Il y a moins de changement sur le fond que ce que notre amour du
nouveau et notre culte de la rupture – qui sont des marques de fabrique du discours
de la modernité – nous portent à le croire. Il y a, bien entendu, une nouveauté
majeure dans l’histoire moderne, une réorganisation complète des communautés humaines
aux antipodes de ce que leur organisation a été depuis qu’on les connaît. Il est
permis de parler, de ce point de vue, d’une rupture de l’histoire moderne avec la
totalité du passé humain. Pour autant, s’agit-il d’un inédit radical, d’une création
ex nihilo jamais vue, comme, là encore, la pente très forte de l’esprit moderne, son
prométhéisme naïf nous pousse à le croire ? Je ne le pense pas. La révolution moderne
(je crois qu’on peut parler ainsi, il n’y en a qu’une au fond qui passe par toutes
sortes de « sous-révolutions » de tous ordres) instaure un mode d’être inédit des
communautés humaines. Néanmoins, cette nouveauté ne nous coupe pas du passé de
l’humanité. Les structures profondes du monde humain-social demeurent les mêmes
derrière leur métamorphose. Nous avons affaire à une transformation qui nous garde en
continuité fondamentale avec l’humanité religieuse, pour faire court. Nous pouvons
très bien continuer à comprendre celle-ci dans sa manière de fonctionner socialement,
psychiquement, culturellement, intellectuellement. L’Histoire invente des choses
jamais vues mais l’humanité reste une. Mon souci est d’échapper à l’illusion de la
rupture et de l’autocréation, qui est le péché constitutif de l’esprit moderne. Cette
illusion de nouveauté implique aujourd’hui des conséquences catastrophiques, en
donnant à considérer que le passé ne nous concerne plus. La barbarie par excellence
qui nous menace, c’est précisément la réduction du passé à une interminable barbarie
dont nous serions enfin sortis pour trouver une forme normale d’existence. Ainsi, se
persuade-t-on, aurions-nous surmonté notre sombre préhistoire, cette période
effroyable où les hommes battaient leurs femmes, croyaient dans des dieux et
ignoraient les vacances. J’écris contre ce fantasme de rupture et en vue d’intégrer,
au contraire, le sens du passé dans la conscience du présent.

(1. Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion,
Gallimard, 1985, republié en « Folio » en 2005).


Michel Crépu
Au fond, vous rompez avec une doxa moderne sans vous retrouver dans
une posture d’anti-moderne ?

Marcel Gauchet
En effet, j’assume pleinement l’existence du monde moderne, sans me croire obligé pour autant d’épouser ses
illusions sur lui-même. J’écris une histoire de la modernité du point de vue de
l’unité de l’aventure humaine, qui fait que si loin que nous nous établissions de nos
ancêtres, nous restons dans le cercle d’une même humanité, nous travaillons avec les
mêmes problèmes, avec les mêmes éléments de base relatifs à ce qui nous constitue.
Pendant longtemps, nous avons vécu sur l’idée d’une nature humaine demeurant égale à
ellemême à travers le temps, les variations, par ailleurs bien enregistrées, étant
secondaires au regard de cette permanence fondamentale. Depuis le début du XIXe
siècle, la conscience historique a miné petit à petit cette représentation de la
nature humaine, en nous faisant découvrir la diversité des cultures et des
civilisations, l’historicité essentielle des manières d’être de l’humanité. Nous
sommes entraînés par l’approfondissement de cette conscience historique à laquelle il
nous est impossible de nous soustraire. Mais maintenant, après l’illusion de la
permanence contre laquelle nous avons lutté depuis deux siècles, le front s’est
renversé : il s’agit de mesurer l’illusion de la rupture dans laquelle nous sommes en
train de tomber et dont les effets culturels sont terrifiants. Tout mon effort
philosophique consiste à concilier le point de vue de l’Histoire et le point de vue
de l’identité humaine. Nouveauté historique et plasticité humaine il y a, ô combien,
puisque l’expérience moderne inverse trait pour trait le mode d’être des sociétés qui
l’ont précédée. Il n’y en a pas moins une unité de l’histoire humaine. Le point
demande d’autant plus à être souligné que nous sommes dans un moment très singulier
de la conscience historique où le sentiment de l’Histoire tend à disparaître au
profit d’un présent perpétuel, sans plus de renvoi vers un passé ou un futur. On ne
peut même plus parler de « fin de l’histoire », car en bonne doctrine hégélienne
celle-ci impliquait la récapitulation et la conscience du chemin parcouru. Plus rien
de tel : nous sommes passés dans une sorte de présent post-historique. D’où l’urgente
nécessité de réinscrire ce présent dans le parcours qui l’explique.

Michel Crépu
Vous faites de Nietzsche le penseur prémonitoire de ce moment où nous sommes.
On dirait, à vous lire, que nous revivons sur un mode cool ce dont Nietzsche a été le
témoin à la fin du XIXe siècle, mais cette fois comme si l’Apocalypse avait déjà eu
lieu, bien longtemps après que la mort de Dieu ait été proclamée : êtes-vous d’accord
avec cette hypothèse ? D’autre part, pensez-vous que nous sommes encore dans la
continuité du processus de la « religion de la sortie de la religion » ou bien est-ce
que nous sommes entrés dans une autre période, un autre processus qui n’aurait plus
de lien avec la religion de départ ?

Marcel Gauchet
Entendons-nous bien sur ce dernier point : religion de la « sortie de la religion » ne veut pas dire pour moi
« fin de la religion ». Cela veut dire « fin de l’organisation religieuse des
communautés humaines », y compris dans les empreintes très fortes qu’elles ont
laissées sur ces communautés humaines bien après qu’une doctrine religieuse ait cessé
de présider à leur manière de fonctionner… De ce point de vue, je crois, en effet,
que nous atteignons un terme. Mais un terme qui implique plus vraisemblablement une
réinvention de la religion au-delà de ce rôle social qu’elle a tenu depuis qu’elle existe que la disparition de la croyance religieuse.
Non seulement la conviction religieuse demeure et les traditions spirituelles
persistent mais le plus probable est que l’idée religieuse va se renouveler en
fonction du délestage de la structure d’encadrement social qu’elle fournissait. C’est
vrai spécialement du christianisme, en première ligne dans ce processus au sein de
l’espace européen. La mort du christianisme sociologique est patente, mais il est
visible en même temps qu’une réinvention de la foi chrétienne se cherche de manière
encore confuse.

Les trois courants du libéralisme

Michel Crépu
On s’étonne tout de même que vous mettiez dans le même sac à la fois l’émergence d’une pensée libérale
(au sens du XIXe siècle) finalement très humaniste, très « Revue des Deux Mondes » et
la montée en puissance des grandes croyances au peuple, au progrès…

Marcel Gauchet
Oui, c’est vrai. Disons d’abord que j’ai voulu donner une image un peu débanalisée du
libéralisme du XIXe siècle, en le prenant dans toute son extension. Or je ne suis pas
sûr que ce caractère prudent et raisonnable que vous évoquez en rende justement
compte. Il y a une puissante foi libérale dont il est important de retrouver l’âme.
Ensuite de quoi, j’ai été contraint par les limites de mon propos, qui était
d’introduire à l’histoire du XXe siècle. J’ai dû me concentrer sur le principal, et
le principal unifie souvent des choses qui se présentent en surface comme très
disparates… En fait, une histoire intellectuelle complète du libéralisme au cours de
la seconde moitié du XIXe siècle, le libéralisme bourgeois triomphant dont la Revue
des Deux Mondes est un des monuments, devrait y distinguer trois courants. D’abord,
un libéralisme d’inspiration économique, plutôt anglais que français d’ailleurs, (le
« manchesterianisme »), où ce qui compte est l’activité économique en tant qu’elle
est productrice de libertés grâce à l’accroissement des richesses. La thèse est
simple : la liberté politique dépend de la liberté du travail et des échanges, qui
donne aux individus les moyens de leur indépendance. Ensuite, Il y a un libéralisme
que j’appellerais « synthétique » et qui s’organise autour de la notion de progrès.
Celle-ci lie toutes les libertés sous le signe de la raison et de la science. C’est
le courant principal du libéralisme de la seconde moitié du XIX e siècle : celui des
conquêtes de l’esprit humain sur la nature, de l’amélioration générale des moeurs qui
en résulte, du gouvernement par discussion qui couronne l’édifice, etc.

Mathieu Laine
Quels auteurs mettez-vous derrière ce « libéralisme de progrès » ?

Marcel Gauchet
L’homme exemplaire de ce courant est évidemment un Anglais, Herbert Spencer, qui
passe à l’époque pour le plus grand philosophe ! Il est complètement oublié
aujourd’hui, mais c’est un auteur très significatif. Il mériterait d’être revisité,
comme beaucoup d’autres auteurs de la Revue des Deux Mondes d’ailleurs ! Et puis il y
a un troisième libéralisme qui est celui qu’on connaît en France : le libéralisme
républicain. Un libéralisme méfiant par rapport à la liberté économique, qui entend
faire prédominer la liberté politique et qui attend la solution des problèmes sociaux
du suffrage universel. De Gambetta à Clemenceau, c’est l’axe de la politique
française de la IIIe République. Il s’agit bien d’un libéralisme dans la mesure où
ceux qui s’y retrouvent sont à la fois profondément attachés à la liberté politique,
au gouvernement représentatif et à la liberté économique. Simplement, ils veulent
coiffer celle-ci par la liberté politique.
Pour me résumer, je dirais que s’il existe effectivement des courants du libéralisme
qui méritent d’être distingués, il me semble également que la diversité de ces
courants révèle un libéralisme plus profond, plus englobant : celui-là même que j’ai
privilégié parce qu’il fait l’unité de toutes ces familles. Un libéralisme qui tient
fondamentalement à la découverte de l’Histoire et de la société. C’est cela la
nouveauté triomphale du XIX e siècle. Avant, explique par exemple Spencer, nous
avions affaire à des « sociétés militaires », où le commandement était l’axe
organisateur de la vie collective. La grande nouveauté du temps, pour Spencer
toujours, c’est le passage aux « sociétés industrielles », c’est-à-dire le passage à
un monde où le rapport entre pouvoir et société s’inverse, puisque c’est la société
qui prend le dessus au nom de son travail et qui dicte sa loi au pouvoir politique au
travers du mécanisme de la représentation. Les libéraux du XIXe siècle sont des gens
qui tirent radicalement les conséquences de ce renversement du rapport entre pouvoir
et société, qui émancipe la société et les individus dans la société. C’est à ce
libéralisme fondamental que se rattachent les notions fétiches du XIX e siècle, ces
notions que l’on tend aujourd’hui à ridiculiser, la science, le peuple, le progrès…
Sous cette bannière se rassemblent des gens qui sont par ailleurs très différents,
qui ont de grands désaccords entre eux sur la politique effective à mener, mais qui
communient dans une même confiance envers ce qu’ils regardent comme l’accomplissement
de l’Histoire. Ils ont le sentiment d’avoir trouvé la formule définitive selon
laquelle l’humanité va désormais vivre dans une amélioration permanente de sa
condition, grâce à la science, grâce à la liberté, grâce à l’instruction, en évitant
les secousses, les ruptures, les catastrophes qui appartenaient à une époque de
l’arbitraire politique heureusement révolue.

Mathieu Laine
Vous expliquez, dans la Crise du libéralisme, qu’à l’approche du XXe siècle s’est produit « une déroute
généralisée de l’individualisme libéral ». Et vous ajoutez que « le libéralisme est
débordé sur son propre terrain par un développement de l’individualisme qui prend à
contre-pied la vision qu’il s’en était formée ». Mais n’ignorez-vous pas ainsi des
auteurs majeurs comme Laboulaye, Follin ou Yves Guyot (la Démocratie individualiste),
ces libéraux français de l’époque qui défendent vigoureusement l’individualisme,
l’enracinent dans le libéralisme et le calent sur le droit naturel moderne ? Plus
largement, j’ai le sentiment que vous écartez tout un pan de la pensée, qui est fondé
sur un axiome fondamental : le droit inaliénable de chacun d’entre nous à être et
demeurer maître et possesseur de notre personne, des biens que nous produisons et des
biens légitimement acquis. Locke a été, c’est très connu mais on semble l’avoir
oublié, un des premiers à l’exposer avec systématisme : « Tout homme possède une
propriété sur sa propre personne. À cela, personne n’a aucun droit que lui-même. Le
travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, nous pouvons dire qu’ils lui
appartiennent en propre. » En fixant ainsi la limite naturelle de l’action humaine,
qui peut dès lors se déployer librement mais sans jamais attenter au corps et aux
biens d’autrui sauf à avoir obtenu, au préalable, son consentement, cette règle est
au fondement même d’une organisation pacifique et respectueuse des relations
humaines. Véritable clé de voûte de la société libre et ouverte, célébrée par Karl
Popper, ce principe fondamental, déduit logiquement du postulat incontestable que
l’homme est un être social qui agit et formule des choix, est fondé sur une
conception rationnelle et réaliste de la nature humaine et s’inscrit parfaitement
dans la volonté de faire en sorte que la nature profonde de l’homme puisse être
respectée. De là, on peut déduire une éthique, une organisation de la société,
centrée sur l’individu au sens noble du terme, profondément humaniste et
authentiquement libérale, et que beaucoup de gens qui caricaturent cette pensée ont,
hélas, oubliée. Il conviendrait, d’ailleurs, de restaurer ce beau mot, «
individualisme », qui semble être l’horreur égoïste alors qu’il est la consécration
des droits humains. Dans la même veine, il est des auteurs qui
ont plaidé merveilleusement pour la compréhension et l’émergence d’un ordre spontané,
culturel ou auto-organisé. Je pense à Suarès et, plus largement, aux scolastiques
espagnols de la fin du XVIe siècle, à Kant, à Bastiat, pour citer, parmi tant
d’autres, un auteur du XIXe siècle, aux économistes de l’école autrichienne, au XXe
siècle, qui sont d’ailleurs bien plus que des économistes au sens où on l’entend
aujourd’hui, et qui ont tous découvert ou redécouvert que la liberté individuelle
permettait, dans certaines conditions, l’émergence d’un ordre social bien plus
efficient que l’ordre naturel ou l’ordre artificiel qui semblaient jusque-là devoir
régner sans partage sur la réflexion consacrée à l’optimisation de l’organisation
sociale. Or, quand on vous lit, on a le sentiment que vous vous félicitez du reflux
de l’individualisme libéral par l’effet d’un processus de « socialisation de
l’individu ». Mais n’est-ce pas finalement nier que l’individualisme ne veut pas dire
vie en vase clos, mais la préservation des droits fondamentaux de l’homme ? C’est le
pivot d’un système pas seulement économique mais aussi moral, autour duquel se
déploient des échanges volontaires. Et quand vous vantez « l’homme socialisé », j’ai
peur que vous croyiez trop au collectif, dont on a vu les terribles limites. Le
reflux de l’individualisme libéral de la fin du XIXe siècle n’est-il pas plutôt dû à
la montée du solidarisme, du socialisme et des promesses intenables de l’étatisme ?
Plus largement, quand vous parlez de « crise du libéralisme » au XIXe siècle, et que
beaucoup de gens considèrent que nous vivons, aujourd’hui, le triomphe libéral, estce
qu’en réalité ce ne serait tout simplement pas l’inverse : ne traversons-nous pas,
aujourd’hui, une crise profonde du libéralisme au sens où cette pensée, cette éthique
de vie qui a vécu de belles heures au XIXe siècle, n’est plus du tout comprise. Car
elle est sans cesse caricaturée et se retrouve rejetée, dans le même sac que les
idéologies meurtrières du XXe siècle, alors même qu’elle n’est, contrairement aux
autres, pas une idéologie qui ambitionne – quelle horreur ! – de changer l’homme,
mais bien au contraire, et c’est là toute sa puissance, de le respecter. Comment
situez-vous votre pensée par rapport à tout cela ?

Marcel Gauchet
Nous ne parlons pas du même point de vue. Vous parlez d’une manière normative :
ce que le libéralisme devrait être, ce qu’il aurait dû être. Je me contente de parler du libéralisme
tel qu’il a été historiquement. Je n’ai rien contre la philosophie que vous exposez, qui
est une philosophie morale. Simplement, elle ne me paraît pas correspondre à
l’histoire effective. Ce que vous décrivez comme libéralisme typique du XIXe siècle,
c’est en réalité la philosophie de la Révolution, celle des droits de l’homme. Je
crois que c’est par un abus de mots que nous avons confondu ce « libéralisme »-là
avec ce qui va s’appeler le libéralisme au XIXe siècle et qui obéit à d’autres
prémisses… Le libéralisme du XIXe siècle n’a pas son départ dans les droits de
l’homme qui, aux yeux des contemporains, ont été condamnés par l’échec terrible de la
Révolution. Le vrai point de départ du libéralisme du XIXe siècle, c’est la
découverte de l’Histoire et la philosophie du gouvernement représentatif qui en
découle, philosophie qui donne le primat à la société et aux membres de la société.
Pour les libéraux du XIXe, les droits de l’homme sont abstraits : ils ne disent pas
comment faire fonctionner pour de bon la collectivité. Alors que l’Histoire, c’est-àdire
la production de l’avenir, donne une philosophie pragmatique de l’individu et du
fonctionnement collectif qui évite les impasses du type gouvernement révolutionnaire,
et qui donne corps, via le gouvernement représentatif, à la liberté réelle des
individus et des collectivités. Dans son inspiration primordiale, le libéralisme du
XIXe siècle est une pensée soucieuse d’épouser le mouvement réel des sociétés, à
l’opposé des constructions du droit naturel classique. C’est depuis que nous avons
assisté à une renaissance de la philosophie de l’individu de droit et du
contractualisme. Ne confondons pas les époques.

Mathieu Laine
Pardon de revenir à des préoccupations plus actuelles, mais notre
dossier est intitulé « Où va la droite ? » et j’aimerais vous interroger sur la
droite de Nicolas Sarkozy. Vous avez beaucoup écrit sur les questions de droite et de
gauche et l’on se souvient notamment de votre entrée particulièrement riche sur cette
question dans les Lieux de mémoire. À mon sens, Nicolas Sarkozy a gagné l’élection
présidentielle parce qu’il était le candidat des idées. Il était celui qui ne cessait
de proposer quand les autres se cantonnaient de réagir à ses audaces – plus ou moins
heureuses – programmatiques. Mais même s’il y avait beaucoup d’idées, il n’y avait
pas de ligne, pas de cohérence, pas de choix net entre, par exemple, des ambitions
interventionnistes d’une part, et des velléités libératrices, d’autre part. Il
refusait même explicitement de se laisser « enfermer » dans un camp intellectuel,
cette attitude n’étant manifestement pas que tactique. Maintenant qu’il est au
pouvoir, cette absence de vision se révèle au grand jour et explique, sans doute, sa
paralysie dans l’action. Car si de nombreux chantiers ont été ouverts, nous ne
connaissons en rien la rupture promise. Cela ne condamne pas le quinquennat de
Nicolas Sarkozy, mais cela le contraint, s’il veut marquer son temps, à choisir une
ligne, une perspective de société, et à s’y tenir. Car les idées, en politique,
doivent être, pour parvenir à enclencher un mouvement réel, inscrites et ordonnées
dans un grand dessein, et cette façon de faire de la Politique avec un grand P semble
avoir été terrassée, à droite, mais aussi à gauche, par le pragmatisme, le
relativisme des idées et la tyrannie des experts. Comment vous situez-vous par
rapport à cette analyse ?

Marcel Gauchet
Sur le constat, vous avez évidemment raison. Sommes-nous pour autant dans une période de « vide idéologique » ?
Je ne dirais pas exactement cela. L’idéologie est toujours là et bien là, mais sous une
nouvelle forme. Ce qui nous attriste collectivement, c’est le sentiment d’une absence
de direction d’ensemble pour l’avenir. C’est cela, très précisément, qui s’est effacé
de la politique. Or la politique vivait de cette relation à l’avenir depuis qu’elle
existe dans son sens moderne de débat public. Nous ne vivons plus à l’heure des «
grands récits » et de la foi révolutionnaire dans l’avenir radieux, ni même de la
confiance dans le progrès, c’est entendu. Pour autant, nous ne vivons pas sans
idéologie. Notre idéologie est discrète, voilà tout. Elle se résume dans une foi dans
les régulations automatiques. Nos ancêtres de l’âge totalitaire étaient obsédés par
la volonté de maîtriser le fonctionnement de leur société. Nous sommes aux antipodes
de cette hantise. Notre foi à nous, c’est que les choses marchent très bien toutes
seules. Le mot qui condense ce nouvel esprit de l’époque est « gouvernance ».
Un peu de gouvernement, mais le moins possible. Pour le reste, le plus possible
d’ajustements spontanés dans le système le plus décentralisé possible. C’est à la
puissance de ce schéma de pensée qu’il faut attribuer la désintellectualisation
frappante de nos sociétés. À quoi bon chercher à comprendre et à maîtriser des
processus dont l’équilibre doit se trouver de lui-même ? L’Union européenne est
l’incarnation planétaire de cette façon « post-politique » de faire de la politique…
Un livre, paru récemment, s’intitule très significativement la Politique sans
pouvoir2. On ne peut mieux résumer l’utopie post-politique dans laquelle vivent
aujourd’hui les Européens. Je dis bien les Européens car on voit bien que ce n’est
pas du tout, par exemple, la philosophie des Américains. Les Américains continuent de
croire que le gouvernement a un rôle à jouer, spécialement vis-à-vis du rayonnement
des États-Unis dans le monde. Mais pour les Européens, pareille ambition est
dépassée. Nous sommes de ce point de vue, sans le savoir, à l’avant-garde de
l’Histoire ! Bernard Castagnède, la Politique sans pouvoir, PUF, 2007.

Le cas Sarkozy est très intéressant. C’est un homme dont la grande intelligence
fonctionne à l’instinct, sans grandes théories. Son intelligence est d’avoir compris
que, dans un pays comme la France, il faut un compromis entre la gouvernance et un
certain rôle des idées, de l’Histoire, de l’autorité de l’État, de la mobilisation
d’une grande mémoire. Sarkozy, c’est l’union de la technocratie version Union
européenne avec le besoin d’idéal. C’est la composante que lui a apportée Henri
Guaino. Grâce à lui, Sarkozy a trouvé une synthèse originale qui s’est révélée
électoralement déterminante. Rien d’étonnant à cela si l’on songe que la France est
le pays où l’évidement de la politique est le plus mal vécu, pour des raisons qui
viennent de loin.

Mathieu Laine
On voit très bien cela à la lecture d’un petit livre récent, la Société de défiance 3, qui montre à quel point la société française a été abîmée par la défaite de juin 1940, et comment les blocages sur le plan économique renvoient finalement à
une blessure qui n’est pas guérie.

Marcel Gauchet
Ce livre touche en effet à quelque chose de très juste qui déborde
largement le plan économique. La France est un pays qui a un problème d’identité
historique – je ne dis pas d’identité « nationale » mais « historique ». Je pense que
c’est d’avoir compris cela qui a fait gagner Sarkozy.

“Être à la hauteur de son passé”

Mathieu Laine
Oui, cela a été très efficace tant qu’il était en campagne. Mais on
peut être très bon dans une campagne électorale et totalement perdu quand on se
retrouve aux manettes dès lors que l’on ne sait pas où aller. Encore une fois,
Nicolas Sarkozy n’a pas de ligne, pas d’épine dorsale idéologique, et n’a donc pas de
réflexe, de guide dans l’action quotidienne. Il lui faut d’urgence en trouver une et
en faire la raison d’être de son pouvoir.

Marcel Gauchet
Vous soulevez là le problème spécifique de la droite. Le problème
nouveau de la droite en France, c’est que c’est la gauche qui définissait l’avenir
dans ce pays. La droite était le parti du passé. Or la gauche étant défaillante dans
sa fonction traditionnelle, la droite se trouve dans l’obligation de faire ce travail
à sa place si elle veut être crédible. La campagne s’est plutôt jouée sur le
renouement avec le passé, comme condition de l’avenir. Sarkozy a retrouvé de ce point
de vue le fil conducteur du gaullisme. Ce que de Gaulle promettait aux Français,
c’était d’être à la hauteur de leur passé. Simplement, de Gaulle avait pour lui, en plus de ses titres
historiques, de se situer dans le moment de la haute croissance. Être à la hauteur de
son passé, pour la France, dans ce contexte, cela voulait dire réussir enfin sa
modernisation industrielle. Une idée qui allait très bien à la gauche, qui
s’inscrivait même dans son programme profond. Nous n’en sommes plus là. Sarkozy a pu
réussir à dépasser la dépression collective pendant la campagne présidentielle en
promettant à son tour d’assurer cette continuité avec l’acquis des siècles.
Maintenant qu’il est en charge du pouvoir, il ne parvient pas en revanche à donner un
contenu à l’avenir français, parce que sur ce terrain, il n’y a rien à voler ou à
emprunter à la gauche. De Gaulle pouvait faire d’une certaine manière la politique de
la gauche à droite. Sarkozy, lui, n’a pas plus de propositions à faire que ses
adversaires. Ce vide est sans précédent.

Mathieu Laine
Vous dites que Sarkozy n’est pas de Gaulle. Mais ne pensez-vous pas tout de même que, de même que la gauche est obsédée par Mai 68, la droite est emprisonnée par le poids de de Gaulle et n’ose pas un certain nombre de ruptures parce que cela reviendrait à commettre un « crime de lèse-Général » ? Pouvez-vous
développer sur la comparaison entre Sarkozy et de Gaulle ?

Marcel Gauchet
En bon politique, Sarkozy a compris les besoins de la situation.
Simplement, il n’a pas les moyens de mettre en oeuvre ce qui en est resté au stade de
la bonne intuition de campagne électorale. Il a saisi le défi, mais il n’a pas les
moyens de le relever. La « rupture », sans dire pour aller où, cela ne peut pas
marcher.

Mathieu Laine
Est-ce que, finalement, le vrai problème ne se situe pas
dans un rejet total des idées cohérentes, dans le refus, sauf en campagne électorale, parce
que cela fait chic et que cela permet d’allonger la liste des comités de soutien, de
faire appel aux intellectuels pour qu’ils nourrissent, comme cela a toujours été le
cas dans le passé, l’action politique, qu’ils lui fournissent les munitions
conceptuelles pour construire une route sur laquelle tout un peuple se retrouve
invité à marcher ? Est-ce que le politique n’a pas, tout simplement, viré
l’intellectuel au profit des sondeurs et des découvreurs de slogans ? Est-ce que ce
n’est pas cela que nous sommes, collectivement, en train de payer ?

Marcel Gauchet
Ce qui est intéressant c’est de savoir si un autre dirigeant
politique aurait été dans la même situation de vide intellectuel et de vide de vision
ou si on est dans une situation où les intellectuels pourraient lui donner une
vision. Je vois deux questions différentes dans ce que vous dites. D’une part la
question de l’inéluctabilité de cette situation : je n’y crois pas. Je ne crois pas à
la fatalité historique. Le travail de reconstruction d’un discours collectif
mobilisateur qui est à faire se fera tôt ou tard, sauf à supposer qu’une secrète
mutation génétique nous a privés des moyens de nos prédécesseurs. D’autre part, la
seconde question se décompose elle-même en deux autres. Premièrement nous sommes
précisément dans un moment où tout pousse les hommes politiques à croire que cela ne
sert pas à grand-chose de se poser ce genre de questions, sauf en période électorale
où il s’agit de faire de beaux discours. L’expertocratie et le pragmatisme leur
tiennent lieu de tout. Il n’est que de voir la manière dont Guaino est maintenant
rejeté par ce milieu : « Il a fait son tour de manège, revenons aux choses sérieuses
! » Pour qu’il se passe quelque chose, il faut que les hommes politiques en
ressentent la nécessité. Sarkozy a donné le sentiment qu’il avait compris cela, mais
jusqu’à quel point ? Deuxièmement l’autre problème est celui des intellectuels. Comme
vous le savez, cette noble corporation n’est pas, en France, pour des raisons
historiques, dans une situation de forme exceptionnelle. Elle se résume aujourd’hui à
quelques braillards séniles qui se sont emparés du créneau de la radicalité
dénonciatrice, hautement rentable dans un univers médiatique. Cette radicalité tient
une place dans le débat public, on ne peut pas l’ignorer mais on ne peut évidemment
pas s’en satisfaire. De ce côté-là, l’offre est quasiment inexistante. Le rôle
suppose, il est vrai, d’avoir le courage de commencer par prêcher dans le désert…
Néanmoins, en dépit de cette conjoncture contraire, la chose se fera, tant c’est ce
dont la France a spécifiquement besoin. Les Anglais peuvent très bien s’accommoder du
pragmatisme libéral, ils ont pour cela une longue tradition dans cette matière et en
même temps une identité collective beaucoup plus forte que la nôtre dans sa
continuité. Les Français ne peuvent pas se reposer sur de tels atouts. Ils ont besoin
d’une projection de leur identité historique dans le futur. En même temps les difficultés pour produire
celle-ci sont considérables.

Mathieu Laine
Tout ce que nous venons d’évoquer ne réduit-il pas à néant la fameuse distinction gauche-droite ?

Marcel Gauchet
Le changement actuel du rapport entre gauche et droite est à remettre en perspective par rapport au contexte de guerre froide civile qui a été le régime politique français après 1945, pour ne pas remonter plus haut. Dans un tel
système d’antagonismes, les notions de droite et de gauche acquièrent spontanément
une incandescence qu’elles ne possèdent plus. Entre-temps, la France est venue au
pluralisme politique et le pluralisme relativise les oppositions. Le principe
d’alternance interdit de considérer la lutte politique comme celle du diable et du
bon Dieu ; il ramène les adversaires aux proportions de partis de gouvernement. Cela
dit, je continue de penser qu’en dépit de cette relativisation, la division
droitegauche a de beaux jours devant elle. Elle garde son sens opératoire à cause
d’une série de facteurs structurels propres à l’histoire de France. À commencer par
le poids des extrêmes, même si leur rôle n’est plus ce qu’il a été. L’extrême gauche
fonctionne comme un surmoi pour la gauche socialiste, et le vote d’extrême droite est
le grand problème électoral de la droite, dont il n’est pas sûr qu’il soit derrière
nous. Cet extrémisme structurel contribue au durcissement des clivages. Par ailleurs,
la raison première qui a présidé à l’implantation du partage demeure. Pourquoi y a-til
eu une droite et une gauche ? Parce que le camp conservateur et le camp
progressiste ont toujours été traversés en France par des failles très profondes
exigeant une unification abstraite. D’où le besoin de fédérer ces familles disparates
au moyen d’un affrontement symbolique simplificateur. Prenez nos partis. L’UMP est
tout sauf un bloc homogène, c’est une réunion de courants dans une machine politique
construite pour les besoins de la cause. Le Parti socialiste se divise à chaque
occasion. Il est manifeste qu’il y a plusieurs gauches dans la gauche. Cette
dispersion rend indispensable de recourir à des signifiants forts qui en même temps
ne doivent pas trop en dire.

Mathieu Laine
Mais si je vous demandais d’accoler deux ou trois adjectifs pour qualifier la gauche d’une part et la droite d’autre part, que diriez-vous ? Car aujourd’hui, on est un peu perdu, en raison de ce phénomène de croisement, de cet
effet ciseau que vous avez été, à ma connaissance, le premier à révéler, entre une
droite qui était conservatrice mais qui s’est engagée sur le terrain du progrès et
une gauche qui était progressiste et qui, cherchant par exemple, à préserver les
acquis sociaux, s’est retrouvée dans le camp des conservateurs. Est-ce que ces deux
notions seraient devenues des enveloppes vides, inqualifiables, des corps dépourvus
d’ADN condamnant toute entreprise de catégorisation à l’échec ?

Marcel Gauchet
Mais c’est justement l’indéfinition du contenu qui fait la force de
l’opposition droite-gauche ! Elle permet d’exprimer une contradiction marquée dont la
teneur reste mystérieuse. Elle autorise chacun des camps à se définir par contraste :
la gauche, c’est ce qui s’oppose à la droite, et la droite, c’est ce qui rejette la
gauche. Le clivage droite-gauche vous permet de savoir qui vous êtes tout en vous
dispensant de vous définir. Commode ! C’est pourquoi je tends à penser qu’un système
aussi bien huilé et enraciné n’est pas près de disparaître.

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On s’incline

Posté par Gabriel Cloutier le 16 avril 2008

http://raphaeljulde.blogspot.com/2007/12/exercice-de-fatuit.html

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AUTOBIOGRAPHIE D’UN GÉNIE

La naissance de Raphaël Juldé illumine le monde le 29 janvier 1977 à 1 h 20 du matin, à Laval, petite ville de province qui ne mérite pas la gloire que lui apportera cet artiste aux talents multiples et à l’âme généreuse comme un bonnet D. Dès sa naissance, son esprit est loin des choses terrestres, à tel point qu’il n’éprouve pas le besoin d’apprendre à marcher avant l’âge de vingt mois. Il l’a déjà compris, l’humanité est une erreur que la station verticale ne suffit pas à réparer. De cette enveloppe charnelle indigne de lui, Raphaël Juldé choisira bien vite de ne rien faire. Hermétique aux plaisirs de l’enfance, aux joutes sportives et aux passions innocentes, il évitera soigneusement tous les rituels d’initiation de l’existence (cette fange). Amoureux de l’Amour, il se tiendra à l’écart de la Chair et de tout ce qui pourrait l’éloigner de son Œuvre. Usant des générations de crayons feutre sur des kyrielles de feuilles d’informatique, il réinvente la Bande Dessinée dès son plus jeune âge, avant de se désintéresser de ce sous-genre à onze ans, se sentant porté vers une plus haute destinée, celle de la Grande Littérature. Il se lance dans la Poésie comme un yuppie affolé du haut du World Trade Center un certain 11 septembre. Quand la culture sent le cramé, il n’est plus temps de tergiverser : il faut se jeter dans le vide, pour le remplir !

À la même époque, des chirurgiens sadiques tentent de l’émasculer afin d’anéantir à jamais sa verve sanguinaire (bien que juvénile), mais il parviendra à retrouver son Phallus triomphant entre les pages jaunies d’un livre pour adultes insidieusement glissé sous un camion de pompier dans le coffre à jouets du salon. Parallèlement à cela, il entame une grande carrière au théâtre, interprétant des rôles aussi inoubliables que le laveur de carreaux du Songe de Strindberg (ou était-ce un égoutier ?), ainsi qu’un passant, dans je ne sais plus quoi. C’est à cette occasion qu’il forge sa théorie du Passant, c’est-à-dire de l’Homme comme simple spectateur de la vie, afin d’en être le Témoin privilégié, celui qui, au dernier jour, se fera le Chantre de cette humanité grouillante, pressée de vivre, courant aveuglément à sa perte. Cette théorie flamboyante, qui le condamne à l’ascèse et à l’isolement, peu d’hommes avant lui s’y sont aventuré, et tous ont échoué. Mais Raphaël Juldé n’est pas peu d’hommes.

Délaissant la Comédie comme il délaissa le Huitième Art, il crée avec un camarade de lycée un modeste groupe de musique, Trompe la Mort. Modeste d’apparence seulement, car les deux adolescents, armés d’une guitare folk, d’un micro et d’un simple magnétophone à cassette en guise d’ampli, révolutionnent bientôt l’univers de la scène rock hexagonale. Pour s’en convaincre, il suffit de voir avec quelle constance les médias internationaux ont ignoré ce groupe. À cette occasion, Raphaël Juldé réinvente le fanzine en créant Sinistre farce, organe officiel de Trompe la Mort. Irrémédiablement corné par les cuivres de la Renommée, il abandonne bientôt sa carrière musicale pour enfin se lancer dans la Grande Littérature. C’est alors qu’il décide de réinventer du même coup le Journal Intime et l’Internet en publiant au jour le jour son Journal Intime sur Internet. Malgré la gloire instantanée que cette Œuvre colossale lui apporte, le génie garde la tête froide, et continue à apporter son secours désintéressé à de modestes revues qui n’auraient sans doute pu vivre bien longtemps si son Nom glorieux n’avait orné leurs pages insipides. Ce sera d’abord Bigorno, revue de dilettantes en à peu près tout (et Raphaël Juldé déposera à cette occasion le brevet du Dilettantisme-en-à-peu-près-tout) qui donnera naissance au blog Palindrome, dont la durée de vie ne sera que d’une année, mais dont on parle encore parfois à la veillée, des tremblements émus dans la voix. Il collaborera également au Journal de la Culture, rebaptisé la Presse littéraire, torchon dont il finira par claquer la porte (car dans ce monde incohérent, les torchons ont des portes), indigné d’apprendre que son directeur de publication, Joseph V***, s’apprêtait à le rétribuer gracieusement pour ses articles. Artiste profondément désintéressé, et artiste du désintérêt profond, Raphaël Juldé lancera une réplique cinglante : « Mon art n’est pas à vendre, Môssieur ! Je ne suis pas une putain ! »

Son premier roman, Quelques personnages inutiles, est unanimement refusé par les maisons d’éditions germanopratines, toujours aux mains de vieux barbons frileux que la Vérité rebute. Raphaël Juldé ne s’avoue pas vaincu et se lance dans la rédaction d’un autre brûlot, dont le titre demeure encore secret. Pour subsister, il est contraint de faire quelques concessions à sa théorie du Passant, et de trouver un travail. C’est d’abord auprès d’enfants de primaire qu’il exerce ses talents de pédagogue, leur apprenant la lecture et le respect, les tenant à l’écart de la misère et de la délinquance. À ce propos, il attend toujours sa médaille, pour la refuser. Puis, c’est un lycée d’enseignement professionnel qui lui ouvrira ses portes. Désormais surveillant auprès d’adolescents difficiles ou pas, Raphaël Juldé illumine de ses mots d’esprit et de sa capacité à se mettre au niveau du vulgaire le quotidien morose des assistants d’éducation au teint pâle. Son génie désormais reconnu partout lui apporte sans cesse de nouvelles demandes plus fantaisistes les unes que les autres. La ville de Laval, toujours soucieuse de son rayonnement culturel, lui a récemment demandé de rédiger l’histoire des groupes de rock qui s’y sont formés. Le projet lui a immédiatement paru suffisamment improbable pour qu’il daigne s’y pencher et, grâce à cet ouvrage, renvoyer enfin Joyce et Laurence Sterne à la maternelle !

À trente ans, Raphaël Juldé n’a fait encore que poser les fondations de son Œuvre future, et déjà, le vieux monde tremble sur ses bases…

Et un texte copié-collé de Raphaël Julde

La révolte de Bébé Cadum

Me faites pas marrer avec les années 80. C’est là que tout a commencé pour tous les p’tits gars de ma génération ; pour les autres, c’est là que tout s’est terminé. Les eighties, c’est la fin du début de la fin. On dissimule sa tristesse sous des lunettes noires et on part afficher son cynisme souriant dans les nuits blanches des samedis branchés. On n’est plus cool, on est punk. On n’est plus tendre, on est goth. L’élan vital s’est dispersé dans nos langes : on démarrait avec l’idée de bouffer tout cru ce bon gros bifteck de vie saignante, mais c’était de la viande froide grignotée du bout des lèvres sur le coin de notre table d’enfants de divorcés.

Me faites pas marrer avec les années 80. Côté rigolade, guibolles et fantaisie, grosse poilade olé olé, nous les pauvres Français morts de rire, on avait quoi ? Corinne Charby ? Karen Cheryl ? Devant nos télés, on espérait tous secrètement que le Golgoth explose la gueule à Goldorak – qu’il se passe enfin quelque chose. Que Candy se fasse violer par le petit prince des collines et qu’elle finisse rue Blondel, morte d’une passe entre deux overdoses… Parce que les guerres n’étaient plus à la mode, les adultes nous croyaient gentils ! On tremblait pour Tchernobyl, on s’imaginait déjà avec de jolies combinaisons anti-radiations, acné et appareils dentaires camouflés par les masques à gaz : on aurait peut-être enfin réussi à emballer la petite Hélène à la boum de Nico, qui sait ? Mais dans les années 80, les nuages s’arrêtaient aux frontières. Tu parles d’une Europe ! Même le communisme ne faisait plus peur : ses murs s’effondraient, à Berlin comme ailleurs.

Me faites pas marrer avec les années 80. On n’était pas gentils, on était des monstres. Il y avait même des jours où on ne se lavait pas derrière les oreilles. Tout nous était donné, papa et maman acquiesçaient calmement à toutes nos élucubrations. À vous dégoûter d’être un vaurien ! On continuait bêtement à être de gauche, persuadés que c’était encore vachement scandaleux, qu’on se ferait taper sur les doigts, alors que même notre prof de français avait sa carte de la LCR… Ce qu’on a pu en perdre, des calories, dans nos tentatives désespérées pour décevoir notre entourage… On cassait des vitrines et on volait des sacs à main sous les sourires attendris d’une société de bonnes d’enfants. « C’est des gamins, ça leur passera… » On réclamait simplement notre droit légitime à être battus, comme nos parents !

Me faites pas marrer avec les années 80. On n’était pas mignons, on était de la graine de bagne. Mais les bagnes étaient fermés, la guillotine avait été rangée, bonne pour le musée, et on faisait des pointes de vitesse en 103 SP dans les rues vides de la fin des utopies. Le moyen d’échapper à cette guimauve ? La musique, peut-être. On écoutait des trucs au son bien crade pour couvrir les disques d’Adamo ou de Sardou de nos parents. Ils soupiraient, les yeux en l’air, et baissaient leur musique pour ne pas nous déranger pendant qu’on écoutait à fond nos bizarreries dark metal. C’était ça, la révolte de Bébé Cadum ! On vomissait notre gloubi-boulga en écoutant les Tétines noires, on se faisait pousser des traumatismes imaginaires, des cicatrices et des hématomes – on voulait nous aussi notre part de malheur. Le blues de l’enfant choyé. C’était ça, l’abcès à crever : on nous avait trop aimés. Anorexiques comme nos espoirs, on se repassait en boucle le premier album de Suicide, dernier pogo avant les révisions du bac. Alors me faites pas marrer. On n’était pas gentils.

Mais on en prenait dangereusement le chemin…

Pffouuu…!!!!

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Helie Denoix de Saint Marc

Posté par Gabriel Cloutier le 15 avril 2008

« Je ne suis pas certain qu’il y ait un Dieu, mais je sais au moins que le Mal existe. Je l’ai vu en face. Passé le portail à Buchenwald, ma mémoire me blesse comme des éclats de verre. Il m’est physiquement impossible de parler en détail de cette période. L’humiliation n’est soluble dans rien. Chacun porte sa part d’ombre, chacun sait où s’est arrêté le courage et où parfois a commencé la lâcheté. Il n’existe pas de Grand Homme qui n’ait été un jour un pauvre homme. »

Helie Denoix de Saint Marc

http://www.heliedesaintmarc.com/

QUE DIRE A UN JEUNE DE 20 ANS

Quand on a connu tout et le contraire de tout,
quand on a beaucoup vécu et qu’on est au soir de sa vie,
on est tenté de ne rien lui dire,
sachant qu’à chaque génération suffit sa peine,
sachant aussi que la recherche, le doute, les remises en cause
font partie de la noblesse de l’existence.

Pourtant, je ne veux pas me dérober,
et à ce jeune interlocuteur, je répondrai ceci,
en me souvenant de ce qu’écrivait un auteur contemporain :

«Il ne faut pas s’installer dans sa vérité
et vouloir l’asséner comme une certitude,
mais savoir l’offrir en tremblant comme un mystère».

A mon jeune interlocuteur,
je dirai donc que nous vivons une période difficile
où les bases de ce qu’on appelait la Morale
et qu’on appelle aujourd’hui l’Ethique,
sont remises constamment en cause,
en particulier dans les domaines du don de la vie,
de la manipulation de la vie,
de l’interruption de la vie.

Dans ces domaines,
de terribles questions nous attendent dans les décennies à venir.
Oui, nous vivons une période difficile
où l’individualisme systématique,
le profit à n’importe quel prix,
le matérialisme,
l’emportent sur les forces de l’esprit.

Oui, nous vivons une période difficile
où il est toujours question de droit et jamais de devoir
et où la responsabilité qui est l’once de tout destin,
tend à être occultée.

Mais je dirai à mon jeune interlocuteur que malgré tout cela,
il faut croire à la grandeur de l’aventure humaine.
Il faut savoir,
jusqu’au dernier jour,
jusqu’à la dernière heure,
rouler son propre rocher.
La vie est un combat
le métier d’homme est un rude métier.
Ceux qui vivent sont ceux qui se battent.

Il faut savoir
que rien n’est sûr,
que rien n’est facile,
que rien n’est donné,
que rien n’est gratuit.

Tout se conquiert, tout se mérite.
Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu.

Je dirai à mon jeune interlocuteur
que pour ma très modeste part,
je crois que la vie est un don de Dieu
et qu’il faut savoir découvrir au-delà de ce qui apparaît
comme l’absurdité du monde,
une signification à notre existence.

Je lui dirai
qu’il faut savoir trouver à travers les difficultés et les épreuves,
cette générosité,
cette noblesse,
cette miraculeuse et mystérieuse beauté éparse à travers le monde,
qu’il faut savoir découvrir ces étoiles,
qui nous guident où nous sommes plongés
au plus profond de la nuit
et le tremblement sacré des choses invisibles.

Je lui dirai
que tout homme est une exception,
qu’il a sa propre dignité
et qu’il faut savoir respecter cette dignité.

Je lui dirai
qu’envers et contre tous
il faut croire à son pays et en son avenir.

Enfin, je lui dirai
que de toutes les vertus,
la plus importante, parce qu’elle est la motrice de toutes les autres
et qu’elle est nécessaire à l’exercice des autres,
de toutes les vertus,
la plus importante me paraît être le courage, les courages,
et surtout celui dont on ne parle pas
et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse.

Et pratiquer ce courage, ces courages,
c’est peut-être cela «L’Honneur de Vivre»

Hélie de Saint Marc

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Quelques lectures…

Posté par Gabriel Cloutier le 15 avril 2008

La solution intérieure
par Thierry Janssen

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Les liens qui unissent nos émotions, nos croyances et nos corps sont encore mystérieux. Pourtant, une nouvelle génération de médecins, intégrant Orient et Occident, ouvre une voie qui les comprend de façon enthousiasmante.
Ça bouge décidément beaucoup chez les toubibs ! Trois ans après la publication du fameux Guérir de David Servan-Schreiber, son ami, le médecin belge Thierry Janssen, spécialisé en chirurgie du système urinaire mais aussi en psychothérapie corporelle, publie un ouvrage de fond sur la révolution qui bouillonne dans les nouvelles approches médicales. Et c’est renversant. À vrai dire, si elles aboutissent aux mêmes conclusions, les démarches éditoriales de Servan-Schreiber et de Janssen sont différentes. Autant le premier s’appuyait exclusivement sur des méthodes (sept en l’occurrence) dûment reconnues et vérifiées par les universités et les revues officielles (de l’acupuncture à l’EMDR), laissant le lecteur en tirer ses propres conclusions, autant le second utilise ses exemples cliniques – aussi frappants que dans Guérir, notamment sur les notions de placebo et de nocebo -, pour brosser une véritable fresque de ce pourrait être une nouvelle médecine. Intégrant les dernières découvertes de la psycho-neuro-immunologie et les incroyables constatations des pratiques psycho-corporelles depuis un siècle (en particulier cette façon qu’a notre corps de se souvenir de TOUT ce que nous avons vécu), La Solution intérieure fait le tour des médecines alternatives, mais ne s’arrête pas en si bon chemin. Tenant compte de la psychogénéalogie (et de la part pathologique de ce que nous héritons de nos ancêtres), elle va très empiriquement à la rencontre des autres grandes médecines de la culture mondiale : chinoise, indienne et même chamanique. Bref, c’est une somme grandiose que nous propose Thierry Janssen – avec finesse, humour et humilité.
Patrice van Eersel

Le monde s’est-il créé tout seul ?
Trinh Xuan Thuan, Ilya Prigogine, Albert Jacquard, Joël de Rosnay, Jean-Marie Pelt, Henri Atlan.
Sous la direction de Patrice van Eersel

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La science permet-elle aujourd’hui d’expliquer l’origine du monde sans faire appel à un facteur extérieur et transcendant ? Ce livre d’entretien, mené par Patrice van Eersel, est organisé autour de cette question comme une joute. Le premier à entrer en lice est l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan, qui développe une théorie révolutionnaire, le « Principe anthropique fort » dont il est le champion. Selon cette théorie, il y avait, à l’origine de l’univers, une probabilité statistiquement nulle (une chance sur un milliard de milliards de milliards de milliards de milliards) pour que, du Big Bang, sortent des atomes, puis des nuages d’hydrogène, puis des étoiles, puis des planètes, puis ce que nous appelons la vie, puis la conscience humaine. Nous ne sommes donc pas les fruits du hasard, nous étions potentiellement en germe dès l’origine du monde. Bouddhiste, Trinh Xuan Thuan ne croit pas exactement en un dieu créateur : pour lui, la vie et la conscience font partie de la nature même du réel.

Interviennent alors cinq autres savant illustres qui, chacun son tour, nous disent ce qu’ils pensent de cette thèse et nous confient leur vision du monde :

- le chimiste et thermodynamicien Ilya Prigogine, prix Nobel mondialement célèbre pour ses « structures dissipatives » (base de la théorie du chaos), n’est pas d’accord avec Trinh Xuan Thuan, parce qu’il conçoit autrement le temps et l’évolution : pour lui, tout phénomène de création est fondamentalement imprévisible et irréversible, du big bang à l’homme, ce qui nous donne une immense liberté et une terrible responsabilité (notre entretien avec lui fut l’un des derniers de sa vie) ;
- le biologiste Albert Jacquard n’est pas d’accord non plus parce que, selon lui, notre propre origine échappe par essence à toute représentation et ne peut être appréhendée que par l’humour du paradoxe : reprenant quasiment des termes bergsoniens, c’est à dire la notion de durée subjective, il signale que plus on vieillit plus le temps passe vite et qu’inversement, pour le nouveau-né, le temps tangente l’infini ;
- le cybernéticien et biologiste Joël de Rosnay est plus partagé, comprenant que les prémisses philosophiques du Principe anthropique fort puissent séduire, mais leur préférant l’autonomie d’une nouvelle discipline, l’« auto-organisation » – ce qui compte avant tout pour lui, c’est que l’humanité est en train de créer un monde en soi, auto-organisé et en évolution accélérée, que le web préfigure ;
- le botaniste Jean-Marie Pelt partage le point de vue de Trinh Xuan Thuan… mais à la condition expresse que l’on englobe la démarche scientifique dans un ensemble plus vaste, où « l’inspiration créatrice » des chercheurs rejoint celle des mystiques : la science en soi, forcément réductionniste, ne peut pas, seule, répondre à la question de l’origine, par essence métaphysique ;
- enfin, le médecin et biologiste Henri Atlan critique le dit principe avec véhémence, au nom d’une vision spinozienne, où l’absolue liberté de l’homme exige d’autant plus de courage et de discernement, que le monde est totalement déterminé.
Toutes les grandes thèses sur l’origine du cosmos sont présentées dans ce livre. De laquelle – ou de quel mélange d’entre elles – vous sentirez-vous le plus proche ?

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La haine du père

Posté par Gabriel Cloutier le 29 mars 2009

La haine du père dans Introx

La malédiction c’est le père. Le père est partout. Le père est l’incarnation de la bêtise ordinaire, triomphante, sûre d’elle. Une obscénité institutionnalisée. Tout transpire ici l’abjection du père. Tous transpirent cette monstruosité. Ils la portent sur eux et puent de joie de l’exhiber. La terre des hommes se meurt – si elle se meurt – de son infamie, de son incurie, de son incurie infamante, de son infamie incurable.. Car le père est libre de faire ce qu’il veut. Le père terrestre est tout-puissant là où le père céleste, qui existe tout en n’existant pas, n’est qu’amour, compréhension, acceptation, humour et douceur. Qui n’a déjà ressenti cette sainte horreur qu’inspire le père ? Sincèrement ? Qui n’a souffert de ce pouvoir injustifiable, intrinsèque, immanent et destructeur ?
Je n’ai connu aucun père qui ne pose problème à sa progéniture. Triste sexe qui ne s’exprime qu’en privé, qui profite du petit pouvoir qui lui a été injustement conféré, et torture, humilie, fouette, ordonne, prive, écrase sans pitié, avec le plein accord de sa victime et la poursuit au plus profond de son sommeil et de son intimité.
Dialectique du maître et de l’esclave ? Non. Dialectique du père et de l’enfant, oui, cent fois oui. Regardez-le ce père, votre père. Vous êtes lui. Votre regard est le sien. Vous êtes lui, ce père que vous avez eu, le seul, l’unique. Et par un subtil et grossier tranfert vous vous répugnez. Vous voulez lui ressembler mais vous détestez son image. Vous vous détestez. Sans le savoir. Ca pue dans vos bouquins, ça dégouline de vos tableaux mous, vous êtes devenu comme lui, aussi con que lui. Sur de vous comme il l’était parce que justement il ne l’était pas. Cet être abject dont vous avez mis, ou mettrez, des années à comprendre la petitesse et le néant. Ce père qui pour un spermatozoîde de trop vous a souillé, pénétré de son importance, jour après jour, année après année, patiemment, en toute impunité et avec votre accord tacite, votre confiance de nouveau-né perpétuellement trahi qui aime ça et qui en redemande…
Et vous le faites payer cher.

Deux millions d’enfants déclarent avoir été violés sur notre seul territoire. Deux millions d’enfants vivants et de tous âges le reconnaissent. Le tiers des victimes de la Shoah.

Le Père Noël n’existe pas, dîtes-vous en choeur ? Son inexistence est pourtant cent fois préférable à cette caricature, cette forteresse vide, bien vivante, bouffie, bouffante et baisante, vulgaire et obscène dans la bouffe comme dans l’amour, qui vous fait toujours croire en lui et passe son temps à vous tromper, le sourire en prime !

Et si encore il n’y avait que les violeurs ! Mais il y a les autres ! Les pires. Ceux qui ne passent pas à l’acte. Tous ces pères que je connais, ceux qui n’ont violé personne, mais brûlent et crèvent de ne l’avoir pas fait. Ceux qui lorgnent leur fille, mettent en balance la rondeur de ses hanches et la respectabilité qu’elle risque de leur couter… et qui choisissent finalement de bien dormir. Les autres, quoi. Regardez : celui-là ne comprend pas, 10 ans, 25 ans après son divorce, pourquoi ça lui est arrivé, à lui. Rien n’atteint sa conne de conscience. Il est blanc comme neige. Il s’appelle souvent « moi », car c’est sous ce juste vocable qu’il se signale cycliquement quand l’envie lui prend de téléphoner à sa petite fille de 6, 7, 8 ans et plus : « Allo, c’est moi ». Ok compris. « Ma petite, c’est ton papa au téléphoone… ». Oui c’est toi, le porc dans sa bauge qui ravale le porc au niveau du père qui ment et se ment, nie toute justice, toute beauté, toute possibilité, crache et pisse à votre vue, vous méprise ouvertement, fort de votre adhésion inconditionnelle à son droit du plus fort, à son imprescriptible droit de cuissage, à son infaillibilité spermatozoïdale.

Dans ces conditions, comment pourriez-vous aimer, être aimés ou tout simplement vous aimer vous-mêmes ? Vous voulez croire et croire encore qu’Il vous a aimé, ce malade ! Que ses attitudes étaient justes et bonnes, que c’était pour votre bien, qu’il ne l’a pas fait exprès, qu’il était malheureux, que le malheur rend maladroit, teigneux, envieux, haineux… et vous le copiez à présent, maladroitement, incapable de concevoir ce néant d’amour qu’il vous a transmis et qui vous détruirait s’il parvenait à votre claire conscience. Car il n’était jamais là, papa. Il avait ses raisons. Il a fait chier Nietzsche, Marx et quelques centaines d’autres, papa ! Et je vous comprends. Tous. Et je vous aime pour votre naïveté, pour votre refus d’admettre tout ça.

Dieu merci, je n’en ai pas eu. Dieu merci il n’a pas eu le temps de l’abjection. Il ne s’est pas sali, il ne m’a pas sali. Il n’a pas eu le temps. Il est resté intact comme un santon de la crêche. Il est là et sur le seuil de la maison nous nous comprenons sans rien dire.. Simplement. Et il m’aime comme je l’aime. Simplement. Il n’a pas à se protéger. Pour lui et moi c’est Noël tous les jours. Oui, j’ai cette chance. Son absence relative est une sur-présence absolue. Un torrent d’amour que je ressens à tous les instants de la vie. Et nous fumons ensemble dans la nuit sans rien dire. Nous pissons silencieusement dans l’herbe haute. Sa mort lui pèse, Seigneur, à ce pionnier-là. Un passage atroce. Mais il est tragiquement là et sa présence s’impose de toute la hauteur de son irréalité, au point de jonction de ma naissance et de sa mort.

Parlez-moi d’amour, s’il vous plait ! Parlez-moi de cet amour qu’il vous a donné. Eclairez-moi ! Il fait sombre ici. Soyez légers ! Ne craignez rien !
Y a t’il eu quelque chose ? Une petite lueur, une faiblesse dans l’armure qui puisse me convaincre que je me trompe ? Je ne demande que ça ! Un peu d’abandon. Bercez-vous, apitoyez-vous, aimez-vous un peu, quoi.
Et alors je serai heureux pour vous, qui avez été réellement aimés, et qui êtes à présent confus de reconnaisance et éperdus d’amour en retour !

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Jean-Pierre Mocky, cinéaste

Posté par Gabriel Cloutier le 30 janvier 2009

Jean-Pierre Mocky, cinéaste dans Auteurs jeanpierremocky

« Coupe ton nom en deux et tu voleras plus haut, au moins tu ne tomberas pas dans le ruisseau ». Suivant les conseils d’une voyante, le jeune Jean-Paul Mokiejewski est devenu Jean-Pierre Mocky ! La « Moky » est aussi le nom d’une machine à percer les tranchées pendant la guerre, inventée par son père !
La vie de ce cinéaste est truffée d’histoires abracadabrantes où l’on y croise les personnages les plus fantasques et la quasi-totalité des célébrités du show-business. Difficile de discerner le vrai du faux dans son parcours si romanesque, où l’on ne sait plus si ses films sont inspirés de sa vie, ou si c’est l’inverse.
4 novembre 2003, à l’occasion de la sortie de son 46ème film, nous rencontrons cet « ours malfamé » dans son antre du quai Voltaire: un très ancien appartement situé sous les combles, sorte de grotte labyrinthique en altitude. Il vient de signer Le furet, un joyeux hommage au polar français des années 50/60. De Orson Welles à Jean Abeillé, de Bourvil à Karl Zéro, avec sa gouaille légendaire, Jean-Pierre Mocky nous parle pêle-mêle de son amour des acteurs et des décors, de ses inspirations journalistiques, de ses énièmes embrouillaminis financiers, de ses projets aux « States », et dans une ultime embardée, il évoque ce film méconnu dont il est le plus fier…

Le furet est adapté d’un roman de Lou Cameron, pouvez-nous en dire plus sur la rencontre avec ce livre et le choix d’en faire un film ?
Lou Cameron s’intéresse beaucoup au film (rire), puisqu’il me téléphone deux fois par semaine pour savoir où ça en est. C’est un monsieur très âgé qui était contemporain aussi des Chuck Jones, des types qui faisaient les dessins animés de Tex Avery. Ce sont des vieux journalistes qui passaient leurs nuits dans les salles de rédaction à attendre les faits divers. Ils buvaient du whisky, puis ils écrivaient. Il y a eu aussi Frederic Brown. Plein de gens qui sont devenus les maîtres de la série noire et de la « pulp fiction » que Tarantino adore. « Quinto » (Petit nom donné à Quentin Tarantino, ndlr) et moi sommes des amateurs de la série noire, avec Polanski aussi. Ces vieux de la vieille sont encore les pionniers de la série noire. Lou Cameron est un pionnier. Moins connu que les autres…

Vous le connaissez depuis assez longtemps ?
Ah non ! Je l’ai découvert par hasard. Je ne savais pas quoi faire. J’en avais marre de toujours faire des trucs sur la corruption, les mises en examen, les curés, les militaires, les objecteurs de conscience, enfin toute la smala. Je me suis dis, je vais changer et faire autre chose. Et j’ai repris la veine de l’Ibis Rouge que j’avais tourné avec Michel Simon et Michel Serrault en 1975. C’était aussi tiré d’un roman de ce genre de type, Frédéric Brown, contemporain de Lou Cameron. Mais il n’a malheureusement pas tenu jusqu’à 90 ans, car il buvait tellement ! Il est mort à 60 ans. Donc, c’est un peu un retour à Paris, avec ses souterrains, ses métros, ses égouts, le côté « Mystères de Paris », qu’on a essayé de retracer dans l’affiche du film. C’est pas Les tontons flingueurs, c’est pas Tueurs de dames auxquels je le compare parfois, mais derrière, il y a quelque chose de très grave. Parce que le furet est peut-être l’assassin de certaines personnalités très en vue, dont on a jamais trouvé l’assassin. Ca a été une théorie de la police que des meurtres de personnalités étaient faits par des citoyens tout à fait normaux qui n’avaient rien à voir avec la mafia, ni avec la DST, ni avec les renseignements et tous les trucs comme ça. Ceux qui veulent éliminer des gens importants se méfient de ces organisations mafieuses ou policières. Ils se disent qu’un jour il y en a un qui va craquer et balancer le truc. Il va faire un hold-up, on va l’attraper, et pour avoir des années de rémission, il va raconter l’histoire. Le procès Allègre, l’affaire Bérégovoy, Boulain, Piat…on ne sait pas très bien comment ça s’est passé, mais on imagine très bien que c’est un furet qui les a descendus, un mec de la foule, n’importe qui. D’où l’idée sous-jacente du film. C’est un film de divertissement bien sûr, une comédie, avec des excès de comédie, mais au fond, quand à la fin du film il butte un ministre et qu’au téléphone on lui dit qu’il y a encore quelqu’un à butter, il fait : « Ah ! Toujours plus haut ! ». On se demande si ce n’est pas quelqu’un de beaucoup plus important qu’il va butter après le film (rire). C’est un petit peu ce qui m’a amusé dans le film et ce qui a amusé Villeret.

Vous étiez un peu fatigué de faire des films pamphlétaires, plus satiriques ?
Si vous voulez…le pamphlet, Capra l’a fait en Amérique avec des films comme Monsieur Smith au Sénat, Meet John Doe (L’homme de la rue, ndlr). Le pamphlet peut lasser ! Je vais en faire un de pamphlet. Mais faire un pamphlet tous les ans, le public peut se dire : « Ah, je l’ai vu le dernier pamphlet, maintenant j’en ai marre ! ». Dans toutes les carrières de cinéastes pamphlétaires, il y a toujours eu des plages. Mais tout en gardant un fond pamphlétaire. Le furet est un sous-marin du peuple, il en a marre, il veut arriver et, en même temps, il est une espèce de justicier…alors, on change un peu de registre. Le pamphlet est moins apparent que dans des films comme Vidange, Une nuit à l’assemblée nationale, ou Le miraculé. Là, le but c’est de faire plaisir aux acteurs. Je suis un défenseur de « l’acteur numéro », de « l’acteur clown », contre l’acteur de tous les jours, ce type qu’on n’identifie plus puisqu’il ressemble tellement au public que finalement, il est absorbé par le film. On ne le voit pas, comme si c’était un ectoplasme. Il passe, et on se dit : « Tiens, c’est l’employé du Bazar de l’Hôtel de Ville qui est là, il aime la coiffeuse…etc ». C’est joli pour certains, ils aiment bien ça, ils s’identifient, ils se disent : « Je suis l’employé et elle, c’est la coiffeuse, c’est mon histoire ». Donc, ils y vont. France Boutique (de Tonie Marshall, 2003, ndlr), des machins comme ça. Encore que ces films marchent moins bien que Le furet, car ils ont beaucoup plus de salles. Nous, hier, on a fait à peu près le plein, et eux ont baissé de 50% (rire).

Justement, pour la diffusion du Furet, vous avez près de 150 copies dans toute la France, alors que vos précédents films n’en avaient que quelques-unes. Comment s’explique cette soudaine multiplication ?
C’est la présence de Villeret et de Serrault. Seulement, là on rentre à nouveau dans un conflit. Je ne peux pas faire quelque chose sans qu’il ne se passe un conflit…même quand je ne fais rien, il y a un conflit. Ce qui s’est passé, suivant un exemple célèbre, vous qui êtes cinéphiles, Charlie Chaplin, Mary Pickford et Douglas Fairbanks Junior * avaient crées au moment de la dépression, une société qui s’appelait les Artistes Associés. C’étaient des grands artistes qui s’étaient mis ensemble pour fabriquer des produits qui leur plaisaient, contrairement aux produits qu’on leur proposait de faire, et qui ne leur plaisaient pas tellement. C’était moins valable pour Chaplin, mais pour les deux autres, c’était tout à fait valable. En 1930, cette société a été prise à partie par les autres sociétés, car elle était indépendante. C’était la première société indépendante, dirigée par des artistes qui ne se faisaient pas payer et qui, par là même, pouvaient produire leurs films avec facilité. Alors que les autres, les majors, étaient obligés de les payer très chers. Donc, les films coûtaient plus chers dans les majors que chez eux. Il y avait déjà eu une espèce de censure, de blocage des films produits par les Artistes Associés dans les premières années. Depuis toujours, je travaille avec des acteurs en participation: Bourvil, Catherine Deneuve, Fernandel, etc… mais c’était au sein d’une grande société. J’arrivais à faire des films parce que j’emmenais un acteur moins cher que d’habitude. Mais les producteurs, c’est à dire les usufruitiers du film étaient propriétaires du négatif, avec un « passeport » pour moi. Le « passeport » était d’amener Bourvil en participation au lieu de le payer très cher. C’est comme ça que j’arrivais à faire ces films-là. Le temps ayant passé, la structure économique du cinéma ayant changé, il n’y a plus de distributeurs qui donnent d’à-valoir. Il y a quelques producteurs, mais beaucoup moins qu’avant, et ils sont beaucoup moins compétents. Résultat : on en est arrivé, dans les années 1990/1995, à ne plus avoir de vrais producteurs. J’ai donc dû m’instaurer, moi, producteur, et mes acteurs aussi. C’est à dire que j’ai retrouvé le contexte de Charlie Chaplin de 1926 (rire). Je me suis retrouvé avec les « Mocky associés ».

Dans votre autobiographie M le Mocky, vous racontez qu’à l’époque, vous aviez envisagé de créer ce genre d’association avec Orson Welles et Jean-Pierre Melville…
On s’est retrouvés un jour dans un café avec Orson Welles, Jean-Pierre Melville, Luis Bunuel et Jacques Tati. On était à La coupole, et brusquement, on a voté ! On voulait créer ça parce qu’il se créait énormément de sociétés d’auteurs ou de producteurs indépendants. Au cours de ce déjeuner fameux – il y a une photo de ce dîner, il faudra que je la retrouve un jour, c’était un peu le dîner des Goncourt – Orson a dit : « Bon, on vote ! Qui veut être président ? ». Et personne ne voulait être président ! « .Qui veut être secrétaire ? ». Et personne ne voulait être secrétaire ! « Qui est le trésorier ? ». Et personne ne voulait être trésorier ! Finalement, ils m’ont désigné, mais moi-même je ne voulais pas faire ça…donc on s’est séparés à la fin, et il n’y avait pas de syndicat du tout ! Ils étaient trop indépendants pour se syndiquer. Donc, il n’y a pas eu de nouveau syndicat d’auteurs à risque, comme on l’était. On se définissait comme auteurs à risque, par rapport à d’autres auteurs classiques, comme Claude Chabrol, Edouard Molinaro etc, qui sont des metteurs en scène bourgeois. Ils étaient entourés de tout une série de bourgeois, donc ils n’avaient pas besoin de syndicat. Mais pour en revenir à cette histoire : aujourd’hui, je suis obligé de me produire, mais en prenant toutes les responsabilités d’un producteur, c’est-à-dire de compléter avec l’argent de mes anciens films qui servent à faire des nouveaux. Grâce au ciel, j’ai beaucoup de films qui passent à la télé, et avec le fruit de ces diffusions, j’alimente une caisse qui est relayée par le fait que les acteurs ne sont pas payés. Ce n’est plus un acteur qui vient travailler à des prix compétitifs mais c’est carrément tous les artistes qui viennent à l’œil. Le résultat ne s’est pas fait attendre par l’adjonction de Jacques Villeret. Il a été une sorte de détonateur pour le conflit qu’il y a. Parce que Villeret est un acteur très cher. Quand il travaille dans Le dîner de cons, il gagne une fortune. Quand il se présente chez Gaumont, il dit : « Bon voilà, moi je coûte tant ! ». Et on le paye. Alors, comme ils ont appris que Villeret n’était pas payé et produisait ce film avec moi, ils se sont dit: « Ah, bien ! Monsieur Villeret trouve que Mocky est mieux que nous et il ne lui demande pas d’argent, très bien !… ». Ils nous ont attendu à la sortie. Ils se sont demandés ce qu’on allait faire du film qu’on venait de réaliser. Lundi dernier, au moment où on devait sortir le film, monsieur Paulo Branco, qui est un indépendant – un peu braque, mais un brave gars, enfin, je le trouve complètement fou – a mis des affiches sur les colonnes Morris, des affiches éclairées dans le métro, un quart de page dans le Journal du dimanche. Et brusquement, le lundi matin, on nous dit qu’on n’a pas de salles aux Champs-Élysées mais au Pathé Ivry où personne ne va, là-bas au diable, où il n’y a même pas de métro. Le Gaumont Aquaboulevard, c’est à peu près la même chose. On a les Trois Luxembourg au lieu de l’Odéon, Les Parnassiens au lieu du Gaumont Parnasse. Finalement, on s’est retrouvés, lundi dernier, deux jours avant la sortie, avec rien du tout, avec des salles de merde pour la publicité qui avait été faite, et surtout pour l’interprétation qui est égale à Effroyables jardins (de Jean Becker, 2003, ndlr). On nous a coupé les couilles, tout simplement ! Tout ça, c’est une vengeance qui n’est pas officielle. Les types disent que le film n’est pas bon, donc ils ne donnent pas de salles. Voilà leur raisonnement. Le pauvre Villeret et moi et Serrault, on l’a dans le cul, gros comme une maison ! Le film n’est pas perdant. Parce que les frais du film « hors-nous », hors ces fameux Artistes Associés, sont remboursés par la télévision. Mais elle a payée très peu, on a aussi vendu le film en vidéo, et avec ça, on a pu amortir les frais du film proprement dit. Mais Paulo va certainement perdre de l’argent, car la publicité a été importante et les salles n’ont pas été remplies. Là, on a une médiation qui a été demandée, parce qu’on était par hasard dans une salle qui s’appelle MK2 Bibliothèque. Une petite salle. Toute petite. Parce qu’il ne faut pas oublier que dans les 7 salles qu’on a, on n’a que des salles de 96 places. Ce qui fait que samedi et dimanche, on a refusé du monde…qui ne reviendra jamais ! Et comme personne ne veut jamais se mettre au premier rang, il n’y a pas vraiment 96 places. En réalité il y en a 80. Les gens ne viennent pas au premier rang, c’est rare. Donc, on avait 80 places samedi soir, pour 150 personnes. On a perdu 70 personnes qui ne reviendront jamais. C’est un peu triste. Hier, on m’a annoncé qu’on nous retirait le Gaumont Aquaboulevard, (rire) et le truc là-bas où il n’y a personne (Le Pathé Ivry, ndlr) car il n’y avait vraiment personne ! Mais c’était pas à cause de nous. Par contre, les autres salles marchaient pas mal. C’était complet, parce que c’était des petites salles. Un médiateur a été nommé car MK2 Bibliothèque a 16 salles, et nous on arrivait dans la liste des recettes, à la sixième place. Donc, on aurait pas dû être viré mais on a été viré quand même…(il explose de rire). On était sixième sur seize. Au lieu de ne virer que les dix derniers, ils nous ont viré avec (rire).
Ca m’amuse, vous me voyez rigoler, je ne suis pas en train de pleurer. Je m’en fous. Je m’en fous parce que l’autre jour, je regardais Ciné…Ciné…Cinéma…Cinéclassics…et Jean-Pierre… Jean-Paul ?…Jean-Bernard ?… Jean-Jacques Bernard disait que Le Cheik blanc de Fellini – j’ai été l’assistant de Fellini pour La Strada – avait tenu trois jours. Après, je me suis tapé une liste que m’a filé Jean-Claude Romer, qui est un spécialiste. Alors : Jeux interdits retiré de l’affiche au bout d’une semaine, La règle du jeu, Drôle de drame, évidemment…La grande illusion, Casque d’or : échec total. On peut continuer. Là, je ne parle pas de Diva (de Jean-Jacques Beinex, ndlr) ou des choses comme ça. À la limite, ça m’amuse. Je serai très peu payé. Je toucherai le prix que va toucher mon assistant. C’est très bien car je ne suis pas un type d’argent, je m’en fous, mais je ne m’achèterai pas une Ferrari avec. Sûrement pas. D’ailleurs, même si j’avais gagné de l’argent, je ne me serais pas acheté une Ferrari, je l’aurais investi dans un autre film. Mais tout cela fait que je suis obligé de partir aux États-Unis puisque je ne peux plus travailler en France. Avec cet échec…enfin ça ne sera pas un échec véritable puisque par rapport aux salles que nous avons, c’est un succès. Mais par rapport à un autre Villeret/Serrault, c’est un échec. On va terminer à maximum 150.000 entrées dans toute la France, alors que n’importe quel Serrault fait 600.000 ou 700.000 entrées ! Peut-être que Villeret ne voudra plus refaire le truc, je ne sais pas ? Mais il est courageux, il va peut-être accepter, parce qu’on avait un truc en chantier, ça s’appelait Le bénévole, sur le bénévolat. Ca devait normalement être une énorme affaire à la suite de ce succès que nous escomptions faire. Bon, ce n’est pas la première fois de ma carrière que j’ai un film à qui on coupe les ailes, sinon les couilles. Il y a eu Une nuit à l’assemblée nationale à cause de la photo des 450 députés qui étaient en train d’avouer leur faute tout nus dans l’hémicycle. Ca m’a valu quatre ans de censure totale. Le miraculé, malgré son succès, m’a valu la haine du Front National, de plein de gens qui arrachaient les affiches, qui rayaient ma voiture. Donc, je connais bien ça. Mais là, c’est autre chose. Cette espèce de jalousie des monopoles. On aurait préféré que Gaumont produise le film. Ils auraient donné les salles et il n’y aurait pas eu de conflit. Je l’avais fait pour Agent trouble et Les saisons du plaisir. Ca a été produit par d’autres gens, il n’y a pas eu de problèmes, on avait des salles. Maintenant, si on veut faire Le bénévole, avec la même équipe…c’était notre projet de prendre Villeret, Serrault, d’y ajouter Dieudonné, Bacri…d’autres artistes. Mais on ne va pas pouvoir le faire. Donc, je vais aux États-Unis. En attendant, je viens de faire un film de transition que j’ai terminé il y a deux jours et qui s’appelle Touristes, Oh ! Yes. Il n’y a pas de vedettes, mais Walt Disney a acheté. Mystères et boule de gomme !? Il ne l’a pas acheté cher, mais il l’a acheté. L’autre événement Mocky de l’année, c’est que Pathé a pris toutes mes cassettes en DVD. Ce sont deux éléments positifs de mon année. Maintenant, je m’en vais. Je vais faire un film avec John Malkovitch qui est un copain. Ce n’est pas la même chose que Villeret, mais c’est un peu le même système. Je ne vais pas tourner exactement aux États-Unis mais à Londres. Quand je dis que je pars aux États-Unis, je pars comme Roman Polanski, en passant par Londres. Roman avait fait Répulsion et Cul de sac en Angleterre. Je suis le même chemin. Dans Touristes, Oh ! Yes, il n’y a pas une seule phrase. C’est un film muet, avec des onomatopées, sans dialogues. C’est l’originalité, c’est pour ça qu’il a été acheté par Walt Disney. Il peut être projeté dans n’importe quel pays dans la version d’origine. Il n’y a que 2,3 petits sous-titres de rien du tout. C’est international. J’espère faire un succès à la Tati. Parce que c’est un peu le même succès que Jacques. Un film muet, ça n’a pas été fait depuis 20 ans. Ca va peut-être marcher ? C’est très drôle. Les acteurs sont remarquables, ce sont des gens complètement inconnus.

C’est un film très visuel ?
Oui, c’est pour ça qu’on pense qu’il fera le tour du monde. On l’a déjà montré à des Japonais qui riaient comme des bossus : ils ont tout compris.

Sur quoi est basé votre burlesque ?
Vous vous rappelez Les vacances de Monsieur Hulot ? Bon, ce n’est pas Les vacances de Monsieur Hulot, parce que ça ne se passe pas sur une plage. Ça se passe à Paris, c’est l’histoire d’une famille hollandaise qui ne parle pas un mot de rien. Ils ne peuvent pas se faire comprendre, c’est pour ça qu’il n’y a pas de dialogues. Et en plus, l’interprète est sourd, et la femme du type est muette…enfin elle a une extinction de voix. Avec ces éléments là, on a fait un film qui est le cousin germain de Monsieur Hulot puisqu’il s’agit des vacances d’une famille qui, à la fin, se disloque. Ils sont 7 au départ. 4 vont rester à Paris et quitter leur famille. C’est un peu le côté nostalgique de ces gens qui, quand ils partent à l’étranger, attendent des aventures alors qu’il ne se passe jamais rien. Là, le côté pute du film, c’est de se dire qu’ils sont partis à 7, et qu’ils reviennent à 3. Il y a le grand-père qui était homosexuel, qui en avait marre de sa grosse dondon et qui va se taper un danseur. Après, il y a la grand-mère qui en avait marre de son mari homosexuel et qui est parti avec un vieux pizzaïolo. La fille qui correspondait avec un trompettiste à Paris, va rester avec lui. Et finalement, ils vont ramener une noire qu’ils ont trouvé et qui n’avait pas de domicile. Une clandestine. Et ils vont faire un ménage à trois à la fin. Le personnage principal est une sorte de Buster Keaton, il s’appelle Antoine Cholet. Il est très bien. Il est un peu ce qu’était Benoît Poelvoorde au début. Tout le monde est très bien. La noire est très belle, très naturelle.

Pour en revenir au Furet, on peut aussi voir le film comme une sorte d’autoportrait, c’est-à-dire qu’on pourrait imaginer que le personnage du furet liquide tous les mafieux du cinéma, des réalisateurs, des producteurs …
…Oui, si vous voulez…il y avait un scénario comme ça de Knobelspiess que Gérard Blain et moi avions fait sortir de prison. Il avait écrit un scénario : un type passe 5 ou 6 ans en prison à étudier toute l’actualité en lisant les journaux. Et à la fin, il avait une petite aiguille…c’est pour ça qu’à la fin du Furet, Villeret tue un ministre avec une sarbacane. Il avait inventé un personnage qui allait, par exemple, à la fête du 14 juillet à l’Elysée et qui piquait tranquillement au curare (rire) tous les mecs importants. Knobelspiess avait accumulé une telle haine, qu’il était prêt, en sortant, à faire une sorte de Jack l’éventreur de la politique. Au lieu d’éliminer des putes, il élimine des politiques qu’il estime être des salauds.

Le furet est un personnage qui n’arrête pas de dire qu’il aimerait bien qu’on reconnaisse son talent. Cette soif de reconnaissance vous ressemble beaucoup aussi …
Mon talent – si j’en ai – il faudrait qu’il soit reconnu par tout le monde. Pour le moment, il est reconnu par une catégorie de gens. C’est sectaire. Quand on dit que je suis libertaire, ce n’est pas faux, puisque je n’intéresse qu’une partie de la population. La preuve c’est que les gens ne se battent pas aux guichets. Le crémier ne vient pas voir mon film. C’est plutôt une catégorie de gens qui se placent dans tous les milieux d’ailleurs. C’est ce qui me distingue de gars comme André Téchiné, Éric Rohmer ou Claude Chabrol. Ils ont des clients attitrés, qui sont presque des sosies d’eux. D’ailleurs, quand on va dans une salle, on pourrait presque dire, sans regarder le film, juste en regardant les spectateurs : « Ah ! ça, c’est des Rohmeriens, ça c’est des Chabroliens… ». Le réalisateur crée la salle. Si vous venez à une de mes salles, vous allez voir la tête des gens qui sont dedans, ils sont tous différents.

Pour revenir au casting du Furet, outre Villeret et Serrault, pourquoi avoir choisi Michaël Lonsdale, Robin Renucci, et surtout Dick Rivers et Karl Zéro, deux personnalités qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma ?
Lonsdale, j’ai fait 9 films avec lui. On a tourné notre premier film ensemble en 1961, Snobs. Un film assez violent à l’époque, et toujours un petit peu aujourd’hui. Lonsdale, c’est moi qui l’ai trouvé. Jean-Pierre Marielle, mon collègue de conservatoire, devait jouer le rôle et il avait été empêché. Lonsdale est un acteur prodigieux. Il n’a pas la place qu’il mérite. Bien qu’il ait tourné James Bond, il n’a pas réussi à avoir la carrière cinématographique qu’il aurait dû avoir. Il fait partie de cette race d’acteurs, avec des gens comme Roland Dubillard, Laurent Terzieff, qui se sont plutôt consacrés au théâtre. Il s’est consacré aussi à la liturgie, c’est un mystique. Il chante dans des églises, il participe à des congrès monastiques. C’est un personnage assez étonnant. C’est un grand ami, un frère. Si on peut appeler ça un frère, parce que le fait qu’il soit très ouvert sur Dieu, nos relations sont presque de moine à moine. C’est très curieux comme relation. Je ne suis pas du tout religieux donc ça me gêne quelque fois. C’est un type qui est incapable d’une colère, il a un côté très ouvert… Karl Zéro, c’est un type que j’ai admiré une fois. Un jour, j’assistais à la centième de son Nouveau journal (Le vrai journal sur Canal+, ndlr). Il y avait une réception. Il y avait sa mère. Il est formidable parce qu’il a les mêmes origines que les Marx Brothers. C’est un juif-alsacien. Et leurs mères respectives se ressemblent ! Ca a été la première chose. À la centième de son émission, il y avait Madelin, Jospin, Pasqua, Rocard, Charras, je ne vais pas tous les citer. C’est tout juste s’il n’y avait pas…De Villiers et puis machin…Chirac ! Je me suis dis que ce petit gars de Karl Zéro fait tellement peur, que tous ces gars viennent, même de partis différents, ils ont peur de refuser l’invitation. C’est hallucinant ! Moi, je ne pourrais pas réunir tout ça ici. Je ne suis pas assez puissant sur ce plan là. Lui, grâce à cet espèce de journal, il a pu faire ça ! C’était mon premier motif d’admiration. Deuxièmement, c’était réciproque. Il m’a dit un jour : »Écoute Mocky, j’aime tes films ! ». Il a fait un film qui n’était pas très bon (Le tronc, ndlr), il a voulu faire de la mise en scène. Il s’est arrêté et je lui ai dis : « Karl, un jour, si tu veux faire un film avec moi… ». Et il est venu en participation totale…Bon, les autres, il y a Dick Rivers, qui est un chanteur. J’ai déjà utilisé beaucoup de chanteurs. C’est moi qui ait révélé Aznavour au cinéma dans La tête contre les murs (de Georges Franju, ndlr) et Les dragueurs. Après ça été Nino Ferrer, Dutronc et Eddy Mitchell. J’ai beaucoup travaillé avec des chanteurs. Dick est de Nice et a une tête de gangster, donc j’ai pensé à lui. Robin Renucci, c’est le roi des acteurs de télévision avec Arditi. C’est un acteur rare. Il a fait beaucoup de rôles mais jamais un rôle de flic. Je lui ai demandé s’il voulait faire un flic un peu camé, avec une boucle moderne. C’est un peu le style de flic moderne. Autant le personnage de Serrault, c’est Pépé le Moko, à cause de la façon dont il joue. Autant Renucci, c’est moderne. Patricia Marzi qui est ma femme fait un médecin légiste. Tous deux en ont marre de ces professions pourries et ils vont finir par élever des cochons.

Dans vos films, les acteurs ont un jeu très particulier : exagéré, très guignol. Qu’est ce que vous recherchez exactement quand vous dirigez un acteur ?
Des acteurs sobres, il y en a. Mais les gens qui jouent sobre paraissent faux. À la limite, il est moins faux d’exagérer les choses que d’essayer d’être naturel. Parce que jamais personne n’est naturel au cinéma. On ne peut pas être naturel. Par contre, on peut jouer le naturel. Au théâtre, vous pouvez être naturel parce que vous êtes embarqué dans la pièce sans interruption. Au cinéma, l’acteur fait ça par morceaux, il faut qu’il s’y replonge à chaque fois. Ça donne (il s’emporte) : « Tiens, passe-moi une cigarette ! » ou des phrases banales comme ça. Et on se dira qu’il est super, mais si on observe bien ces acteurs, ils sont faux, il en font trop dans le naturel. Ils jouent le naturel. J’ai même vu des acteurs se gratter, pour faire vrai, parce qu’ils ont vus quelqu’un faire ça. On en arrive aux exagérations de James Dean ou de Marlon Brando se passant une bouteille de soda sur le front pour se désaltérer. Des trucs que personne ne fait mais qui donnent l’impression d’être naturel. Et puis, vous avez l’autre équipe : Louis Jouvet, Fernandel, pour citer des vieux…Coluche…Saturnin Fabre…

Vous parler de Saturnin Fabre. On a l’impression justement que vous lorgnez vers ces acteurs excentriques des années 30 et 40.
Oui, c’est ça qui me fait marrer. Si c’est pour reproduire un type qui dit : « Donne-moi des gauloises ! », ça me fait chier. Surtout quand le type a un physique tout à fait banal et qu’il n’a aucun charisme. Ça fait un blanc dans le film. D’ailleurs, on voit très bien dans L’affaire Dominici (de Pierre Boutron, ndlr) la différence qu’il y a entre Serrault et les autres acteurs. Ils ont l’air de sortir d’un patronage. Et encore, dans les patronages, on joue mieux que ça. Moi, je suis pour l’école du cirque. Le cinéma, c’est du cirque. Dans Le passager de la pluie (de René Clément, 1969, ndlr), Bronson a une noix qu’il broie tout le temps dans la main comme ça (il fait le geste). C’est sa couille, en fait. Dans Scarface (de Howard Hawks, 1932, ndlr), George Raft joue avec une pièce. Quand je prends un acteur, je lui met des fausses dents parce qu’il faut qu’il change ! L’autre jour, j’étais avec Alain Delon. Il m’a demandé quand est-ce qu’on allait tourner ensemble. Je lui ai répondu qu’on ne tournera ensemble que quand il se sera rasé la tête, quand il n’aura plus de cheveux. Il fait l’inspecteur Fabien machin (Fabien Montale, série TV, ndlr), après l’autre inspecteur, encore un autre inspecteur…et il a toujours la même tronche. Alors qu’un De Niro, lui, il grossit pour un film. Les Américains font ça depuis toujours. Ils ont des tics aussi. Tous les grands acteurs ont eu des tics : WC Fields, les Marx Brothers, Laurel et Hardy etc…C’est ça les acteurs ! Mes amis Pierre Arditi et André Dussolier sont formidables, mais pour le théâtre.

À entrer dans un jeu guignolesque et excessif, est-ce qu’il n’y a pas un risque à ce que les acteurs perdent leur part d’humanité et deviennent caricaturaux ?
Non, parce que dans Le furet, je ne vois pas un personnage plus humain que le furet. On le voit rire, on le voit en famille. C’est une personnalité excessive, mais c’est comme les clowns : ils en font plein, et par moments, il y a de l’émotion qui passe. Mais c’est quelque chose de très bref…

Mais ce risque, est-ce une chose à laquelle vous pensez quand vous dirigez vos comédiens ?
Oui, on y pense, mais prenons la scène de cirque du furet. À un moment, il regarde sa femme et dit : « Même quand je ne serai pas là, je serai toujours là ». Cette phrase est suffisante pour comprendre qu’il va aller baiser des blondes mais qu’il restera toujours avec sa famille. On ne va pas faire des scènes à la Pagnol où il lui dit (emphatique): « Je resterai avec toi ma chérie, ne t’en fais pas ! ». Un texte grandiloquent ou misérabiliste n’est pas nécessaire. L’humanité de ce personnage est bien là : on le voit tendre avec ses enfants, il leur donne de l’argent, etc…Il y a un autre moment où le furet regarde un mannequin automate dans une vitrine de magasin. Ces deux moments suffisent à humaniser le personnage. Quant au personnage de Serrault, également très excessif, il meurt d’une crise cardiaque en disant qu’il était un spahi (cavalier de l’armée française appartenant à un corps algérien, ndlr). Il faut aimer ça ! Le public est habitué à voir Navarro demander à sa fille si elle est a ses règles… c’est de la fausse humanité. Tous ces films comme Le coût de la vie (de Philippe Le Guay, ndlr), retracent une fausse humanité. L’humanité, c’est Zola. Faut voir ce que c’est que Zola !

Outre la direction d’acteur, ce qui caractérise particulièrement votre cinéma, ce sont ces seconds rôles étranges qui peuplent vos films : Dominique Zardi, Jean Abeillé… On a l’impression qu’il n’y a plus que chez vous qu’on voit des seconds rôles excentriques.
Aux États-Unis, ils utilisent encore de bons seconds rôles. Souvent des acteurs inconnus, italiens ou mexicains. Federico Fellini, dont j’ai été l’assistant, avait besoin d’une mangeuse de spaghettis qui soit grosse. On a cherché, on l’a trouvée dans un restaurant. La dame était vraiment en train de manger des spaghettis. On l’a attrapée et mise tel quel dans le film. En France, on a des bons et des mauvais seconds rôles. Moi, j’ai une équipe. Je l’enrichis de temps en temps quand, malheureusement certains disparaissent. C’est comme dans un jeu d’échec, vous remplacez le cavalier, vous remplacez la tour. Là, par exemple, j’ai un nouveau gros. Quand le filiforme meurt, quand le nain meurt, je le remplace. Mais on a de plus en plus de mal à les remplacer. On prend le cordonnier du coin ou l’éboueur, le secrétaire du maire. On prend des gens qui ont des tronches parce que le cinéma, c’est des tronches. D’ailleurs, à l’époque, ce n’était que ça. Et peu à peu, les seconds rôles sont devenus des premiers rôles. Par exemple, du temps de Michel Simon, Raimu, Harry Baur… Serrault et Villeret auraient été seconds rôles. Ils auraient servi la soupe. Mais ils sont montés en première ligne et ont abandonnés leur statut de second rôle. Il faut se souvenir du film Les diaboliques (de Henri Georges Clouzot, 1954, ndlr) où Serrault avait juste deux scènes. Maintenant, Serrault a toutes les scènes, et les gens qui viennent derrière n’ont plus la même personnalité qu’un Serrault, qui lui-même, en avait moins que Jules Berry. Vous comprenez, c’est par échelon. Aux États-Unis, c’était pareil. Lee Marvin était un second rôle, devenu premier rôle parce qu’il n’y avait plus de Gary Cooper, de Spencer Tracy et D’Humphrey Bogart. Il n’y a qu’au Japon qu’on ne s’en rend pas compte, ils ont tous la même tête. Eux doivent voir la progression, mais nous on ne la voit pas…

J’ai appris que vous vous baladiez souvent avec un appareil photo et que vous essayiez de contacter ensuite les « gueules » que vous aviez rencontré…
Ils ne veulent pas. Un jour, pour Le miraculé, j’avais besoin d’un type avec un grand nez. Un nez terrible. Et c’était difficile à trouver. J’étais dans une voiture et brusquement, à un feu rouge, on voit s’arrêter un type avec un nez qui touchait presque la vitre. Alors, je lui demande s’il veut faire du cinéma. Là, le type me montre son nez et puis il est parti car il a compris que je voulais l’utiliser. Quand un personnage est par trop extravagant, par trop extraordinaire, qu’il a une tête comme si on l’avait torturé, parallélépipédique ou trapézoïdale, le type refuse. Il ne veut pas. Il croit qu’on va se foutre de sa gueule. C’est terrible ! C’est difficile à recruter. Mais bon, il y en a qui acceptent.

Est-ce que vous vous servez aussi de ces photos pour trouver des idées de personnages ?
Je travaille beaucoup avec les journalistes. Sur 46 films, il y en a une bonne quinzaine qui sont issus de faits divers. Par exemple, Le miraculé, La grande lessive, L’étalon, Solo, j’ai pris ça dans l’actualité. Des articles de presse ou des trucs que j’ai entendu à la radio. Dans La grande lessive, Bourvil foutait en l’air toutes les antennes de télé parce que les enfants la regardaient trop. Il y avait aussi Jean Poiret, en directeur d’une télévision fictive qui s’appelait l’ORBF. Il utilisait un système de clé pour que les enfants ne regardent pas la télé. Dans ce film de 1968, j’avais trouvé cette astuce qui s’applique aujourd’hui. Aux États-Unis, ils font ça avec une puce. Toute cette histoire avait été prise dans un fait divers. La nuit, dans un petit village, un instituteur passait avec un copain et enlevait toutes les antennes…L’étalon, c’est parti d’une conversation que Bourvil et moi avions entendu dans un café. Solo, c’était cette bande de jeunes qui étaient des précurseurs de la Brigade Rouge. C’étaient des jeunes, réunis dans un café, chez Dupont, boulevard Saint-Michel. Au lendemain du 10 mai 68, quand la révolution s’était arrêté, ils s’étaient dit qu’il fallait continuer. Et je les ai entendus, moi, et c’est de là qu’est né le film. L’Albatros, c’est un des mes assistants qui, allant chercher des cigarettes, a disparu. Il avait été pris dans une manifestation, torturé par les flics. Il s’était battu et avait pratiquement tué un flic en se défendant. On parle toujours des types qui reçoivent des coups de matraque, mais il y en a qui se défendent. Donc, il était en état de légitime défense, mais comme c’était un flic, il a eu les pires emmerdements : il a passé trois ans en prison. Il s’est évadé parce qu’il avait 5 enfants et une femme. C’est devenu l’histoire de l’Albatros.

Est-ce que les personnages sont très écrits dans vos scénarios ou est-ce que vous les cherchez avec l’acteur ?
Quand on a eu les acteurs que j’ai eu, de Bourvil à Fernandel en passant par Michel Simon, Philippe Noiret, Alberto Sordi, des gens comme ça, on ne peut pas leur apprendre leur métier. On ne peut pas faire le Bresson, on ne peut pas leur donner des indications comme si c’étaient des cons, des novices. La seule chose qu’on peut faire, c’est de choisir au début du film un costume pour l’acteur. C’est ce que j’ai fait avec Serrault pour Le furet. On s’est mis d’accord sur une chéchia pour casser son image de grand-père à moustache qu’il balade depuis 3 ou 4 films, Une hirondelle ne fait pas le printemps, Le papillon, etc…On lui a mis sa chéchia, on lui a teint les cheveux, un petit peu seulement, parce qu’il tournait l’Affaire Dominici après. Quand il enlève sa chéchia à l’église, on voit qu’il n’est pas complètement teint. Et puis, il a cette façon « violoneuse » de parler. Ce n’est pas le Saturnin Fabre et son « Tiens ta bougie droite » (dans Marie-Martine, d’Albert Valentin, 1942, ndlr), ce n’est pas Louis Jouvet solitaire dans un parc (il imite Jouvet) : « Deux ombres sont tout à l’heure passées… ». Mais c’est un peu ça quand même dans la mesure où il y a des nuances terribles dans la voix. Dans Le furet, Serrault compose un espèce de vieux spahi cauteleux. Il reprend des personnages du répertoire. Il y a des personnages de ce genre dans les classiques. Ce n’est pas Tartuffe, mais il prend dans la galerie des grands personnages de théâtre. La seule chose qu’il faut faire, c’est de l’empêcher d’en faire trop. C’est ce que j’ai déjà essayé de faire avec Fernandel, parce qu’il faisait toujours ça (il fait une grimace, imitant Fernandel). Je n’ai jamais travaillé avec De Funès, mais si j’avais travaillé avec Fufu, j’aurais essayé de lui donner un rôle dramatique…bon, ça ne s’est pas fait. Pour Le furet, j’avais dit à Villeret : « Tu es Peter Lorre dans M le Maudit et pour le côté hargneux, tu es James Cagney dans L’enfer est à lui » (de Raoul Walsh, ndlr). Donc, il a pris ces deux cassettes. Quand à la fin de L’enfer est à lui, James Cagney, debout sur des réservoirs, crie : « Maman ! toujours plus haut ! », c’est tiré plus ou moins de ça. Pour M le maudit, Peter Lorre ne riait pas vraiment, mais il avait un petit sourire avec les petites filles…il allait dans la nuit comme ça…

Et puis le dos courbé aussi…
Oui, voilà, il s’est inspiré de ça. Mais contrairement à M le maudit, il nargue la police sans arrêt. Pour les autres…Lonsdale, je lui ai fait prendre une voix à la Marlon Brando dans Le parrain. Une fois qu’on a dit ça, il faut surveiller le gars. C’est comme quand on surveille un pot-au-feu qui cuit, si vous voulez. Il faut arrêter le pot-au-feu s’il est en train de brûler (rire).

Et vous-même en tant qu’acteur, vous jouez encore régulièrement dans vos films, mais une de vos dernières apparitions, c’était dans Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma de Jean-Luc Godard. Ça vous intéresserait encore de jouer chez un autre cinéaste ?
Ça, c’est encore la différence entre le marché français et le marché anglo-saxon. Quand un réalisateur comme moi, qui a une certaine facture, une certaine personnalité par rapport aux autres, joue dans le film d’un autre, l’autre a peur qu’on dise que c’est le gars qui a fait le film ! C’est arrivé plusieurs fois…Quand Chabrol a tourné son film à Paris avec Orson Welles, je ne me rappelle plus du titre…(La décade prodigieuse, ndlr). Ça n’a pas raté. Quand le film est sorti, un critique d’un très grand journal, je crois que c’était L’observateur, a écrit que la scène du dîner, c’est la scène de La Splendeur des Amberson, donc que Orson Welles aurait participé à la mise en scène…

Peut-être que Chabrol s’amusait là à faire un clin d’œil au cinéma de Welles…
Peut-être…Néanmoins, Chabrol a de l’esprit, tandis que d’autres réalisateurs n’en ont pas. Donc, le fait de prendre Mocky, Godard s’en foutait, parce que Godard et moi, on est tellement amis. Il n’y a pas d’inimitié possible. Il a pris le risque. On est frères d’armes tous les deux. On se connaît tellement bien. Mais supposez que j’aille chez Klapisch, chez Ozon…ces gens-là ont leur truc, et engager un type comme moi, même s’ils en avaient l’idée, ils vont se dire que ma présence sera comme un canard noir parmi les canards blancs. Les gens vont se dire : « Mais qu’est-ce qu’il vient foutre là ? ». J’ai eu dernièrement deux propositions : je devais faire Saint-Jean pour Martin Scorsese dans La dernière tentation du Christ. Je n’ai pas pu, pour des raisons totalement indépendantes de ma volonté. Je tournais moi-même un film et je ne pouvais pas l’arrêter. Oliver Stone, aussi. Ça, ce sont des amis. Mais après, j’ai eu une demande en Australie d’un réalisateur qui voulait que je joue le père de Nicole Kidman. En France, j’ai des tas de propositions, mais pour des courts métrages. Des jeunes viennent me voir. Ils ne craignent pas, semble-t-il, qu’on dise que c’est moi qui ait fait le film ! Voilà pourquoi c’est difficile en France d’être amis avec des réalisateurs. C’est peut-être plus facile aux États-Unis. Encore qu’Oliver Stone n’est pas ami avec tout le monde. En France, il y a des chapelles. L’autre jour, j’ai appris avec stupéfaction, que l’un de mes plus grands admirateurs était Jean-Marie Poiré ! Par contre, hier, Jacques Rozier m’a appelé, il adore Le furet, il m’a téléphoné pendant une heure. C’est un peu bizarre qu’un type comme Rozier aime ce que je fais. Godard aussi, puis Éric. Il aime bien mes films, Éric Rohmer. J’ai des supporters parmi certains réalisateurs, mais ce n’est pas pour ça qu’ils m’engagent.

Vous avez joué chez Godard, mais lui avez-vous aussi proposé de jouer dans l’un de vos films ?
Absolument ! Mais l’affaire a mal tournée malheureusement. Très mal tournée. Avec Jean-Luc, on avait eu l’idée de lui faire jouer le rôle de Michel Simon dans La chienne (de Jean Renoir, ndlr). On aurait pris Juliette Binoche pour faire la chienne. Et puis le troisième, c’était…pas Brad Pitt, mais…Benoît Magimel pour faire le rôle du maquereau. L’affaire a mal tournée. Il y a eu des histoires avec Binoche. Les financiers du film ne croyaient pas à Godard acteur. Et Juliette Binoche avait envie de faire passer une audition à Godard pour le rôle. Elle avait envie de tourner, mais elle se demandait ce qu’il allait donner. Godard a évidemment refusé. Il a dit : « Mais qu’est-ce que c’est cette conne, comment elle peut me demander à moi, metteur en scène, de faire des essais ? ». Enfin, bref ! En plus, Binoche ne m’aime pas beaucoup. J’ai des acteurs comme ça…On dit souvent que tous les acteurs m’aiment. Ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a des acteurs qui me détestent. Il y a des allergiques. Le principal est Gérard Lanvin. Pourquoi il ne m’aime pas ? On ne sait pas…Il ne veut pas le dire…

Il ne veut peut-être pas se couper les cheveux !
Non, mais là, c’était pour Vidange. Il devait jouer avec Huppert. Isabelle est aussi une cliente que je n’ai pas eue dans mes films. J’ai eu Azéma, Birkin, Deneuve, machin, truc, mais elle je ne l’ai pas eu. Sophie Marceau aussi ne veut pas. Lanvin et Marceau, je ne peux pas les réunir. Remarquez, je ne regrette pas ! Ce n’est pas ma tasse de thé non plus. Peut-être qu’ils sentent qu’ils n’ont pas assez de personnalité pour les films que je fais !?

On a aussi l’impression que le point de départ de vos films est l’envie de tourner dans un certain décor. Le décor est aussi un élément clef de votre cinéma…
Oui, parce que j’aime Paris. Certaines villes de province aussi. Surtout l’Alsace et la Lorraine. Je suis d’origine de l’Est. J’aime tous les paysages lourds, où il y a du brouillard, de la pluie, des immeubles en béton ou en gothique. D’ailleurs, je passe plus de temps à chercher les décors que les acteurs. Je n’aime pas le blanc, par exemple. Quand j’ai fait une clinique pour Litan, c’était une clinique ancienne. C’était angoissant. Parce que les trucs blancs !… Ce que je reproche aux comédies d’aujourd’hui, c’est d’être tournées dans des décors de publicité pour les frigidaires. Les acteurs sont dans des appartements contemporains blancs…deux meubles Habitat…ça n’a pas de classe ! C’est un soucis que je partage avec Max Ophüls que j’ai très bien connu. Lui ne pouvait pas travailler si le décor était trop plat. Donc, il créait des grilles, il faisait des rideaux…ce qu’on appelle des avant-plans qui étaient augmentés par une lumière. J’ai eu aussi de très grands opérateurs. J’ai eu l’opérateur de M le Maudit et Métropolis. Ils m’ont enseignés la profondeur de champ. Il n’y a plus ça aujourd’hui. C’était l’expressionnisme allemand. On éclaire le premier et le troisième plan, pas le second. Aujourd’hui, c’est le règne du truc parapluie, genre publicité. On met une lumière sur le plafond avec un parapluie, et hop, c’est fini ! C’est hideux, enfin pas vraiment, mais il n’y a pas d’ombre, ni rien. Dans Le furet, quand les gens voient cette lumière, ils sont décontenancés, car ils n’ont pas l’habitude de cela. Les spectateurs sont étonnés par le délire des acteurs, qui n’est pas celui des autres films, et par les décors qui sont photographiés d’une certaine manière. Quand on monte dans une voiture dans le cinéma de Sautet, on a l’impression de voir la sécurité routière.

En voyant Le furet, j’ai essayé de m’imaginer le film en bande dessinée…J’ai l’impression qu’il y a des passerelles entre votre cinéma et la BD. Est-ce un genre qui vous a influencé ?
Oui, d’ailleurs j’ai connu beaucoup de gens de la BD. J’étais très amis avec Reiser, Cabu, Topor. Roland Topor avec qui j’ai travaillé d’ailleurs (il se retourne et montre du doigt l’affiche placardée sur le mur de son salon de L’Ibis rouge dessinée par Topor). On était de l’Est tous les deux. À un moment, on dînait tous les soirs ensemble avec Polanski dans un resto où il y avait tous les réfugiés du rideau de fer. Les gens de la BD adorent mes films. Même les gars des effets spéciaux, Jean-Pierre Jeunet … Ils sont très proches de moi. Jeunet avait dit un jour que je l’avais influencé. Maintenant, il ne le dit plus. Il le disait à l’époque.

Dans M le Mocky, votre autobiographie, vous dîtes que sur les quelques 40 films que vous avez réalisés, je cite : « Aucun n’a été à la hauteur de ce que j’avais conçu, aucun n’a été réalisé comme je l’avais imaginé dans le coït initial. J’aime le coït, pas l’enfant ». Pourquoi reniez-vous vos films ?
Prenons deux cas fameux. Titanic de James Cameron et Lola Montès de Max Ophüls. Ce sont des films considérés par leurs réalisateurs comme parfaits. Je n’ai pas eu la chance de ces gens-là, Ophüls, Wilder adorait Certains l’aiment chaud. J’ai bien connu Wilder l’autrichien. Ils ont eu de la chance, car d’une manière ou d’une autre, ils sont allés aux États-Unis. Ils n’ont ruiné personne, pas comme Von Stroheim. Bref, ils considèrent que leurs films sont bons. Moi, je n’ai jamais eu la possibilité de faire ce que je voulais. L’ensemble des 47 films que j’ai réalisés ne coûte qu’un peu plus cher que le seul film Laissez-passer de mon ami Tavernier.

Pour vous, c’est l’argent qui fait la qualité d’un film ?
Oui, parce que ça vous pose un tas de problèmes. La figuration déjà. Quand vous avez un café vide alors qu’il doit être plein, c’est un défaut. La voiture n’est pas celle qu’on voulait. Il n’y a pas trois voitures de flics, il n’y en a qu’une…ce n’est pas du caviar dans les assiettes, mais de la merde, etc…On voulait tourner chez Maxim’s, on a fini par tourner dans la brasserie du coin, car Maxim’s demande 100.000 balles ! Tout ça, ça s’additionne. D’où le fait qu’on me dise que je bâcle mes films. C’est bâclé par moments, par manque de moyens. Je ne peux pas me balader en disant que ce que j’ai fait est génial. Le peintre peut modifier certaines choses. Un ciel trop gris, il retouche.

Mais ne croyez-vous pas que c’est à cause de ça qu’on aime votre cinéma ?
Ça devient une qualité, mais pour les autres, pas pour moi. Moi, je vois ce que j’aurais pu faire. Là, j’ai 3 ou 4 films importants qui nécessitent des budgets colossaux, mais je ne pourrai jamais les faire. Le film avec Orson Welles, Anthony Quinn, Henry Fonda, et Marlon Brando ne s’est jamais fait. J’avais aussi Fleur de rubis avec Belmondo, Adjani, Noiret, Serrault…Sami F…euh…Sean Penn, qui ne s’est jamais fait. J’ai deux bouquins de Von Stroheim, Paprika et Poto-Poto, qui ne se sont jamais faits. Je garde la nostalgie de faire des œuvres plus ambitieuses que celles que j’ai faites. Il faudrait que je rencontre un milliardaire, que je gagne à la loterie. Que je rencontre un de ces vieux milliardaires usé, fatigué…J’ai failli avoir ça avec Bouygues ! Dans les dernières années de sa vie, il était amoureux de mes films. Un jour, il m’a convoqué dans son bureau. Pour ce fameux film dont je viens de parler avec Belmondo et Adjani. Il a payé une double page dans le Film Français et m’a dit : « Mocky, tu auras ton grand film ! Je mets 20 milliards ! ». Un jour à la radio, j’entends que Bouygues est mort à Saint-Malo. Ça s’est terminé comme ça. Evidemment, les enfants n’en avaient rien à foutre. Ça aurait été ma chance. Bouygues était un type bien, il s’était fait tout seul. Les gens qui sentent approcher la mort, se rapprochent de gens qu’ils ont pu aimer…ça s’est passé pour beaucoup d’artistes, mais pour moi, malheureusement, ce truc-là n’arrive pas. Bunuel a été remorqué par Silbermann. Autrement, il n’y aurait pas de Bunuel. Il s’était arrêté de travailler. C’est monsieur Serge S ilbermann qui vient de mourir qui l’a requinqué, qui l’a ressuscité. Malheureusement Welles n’a jamais été ressuscité, il était tellement particulier !

Si vous deviez sauver un film parmi ceux que vous avez réalisés, quel serait votre Lola Montès ?
Mon Lola Montés c’est…Litan…

Pas Solo ?
Pas Solo. Solo est un bon film. Litan est un film fantastique, qui a eu le Grand Prix à Avoriaz. Le fantastique est un genre que j’aurais aimé faire. C’est un film fantastique dans la tradition de l’Est, de la Lituanie. C’est comme ça qu’on voit les films fantastiques là-bas. Mais ils n’en font pas. Les russes considèrent presque le fantastique comme un pêché. Les gouvernements totalitaires ne voulaient pas qu’on parle des morts. Les russes n’ont jamais eu de films fantastiques. Ils ont eu des films de guerre…

Il y a eu Tarkovski !
Solaris, oui, mais c’était de la science-fiction, un peu pesante…Litan, c’est le film que j’ai aimé parce que il y avait des décors, il y avait l’idée de la mort, des feu follets dans les cimetières. C’était quelque chose qui me faisait rêver quand j’étais petit, et c’est le seul film qui reflète bien mon enfance. Dans l’Est, on faisait peur aux enfants avec des masques. C’était pas loin d’Halloween. Les paysans se déchaînaient. Il n’y avait pas de citrouilles mais des sorciers avec des masques horribles. Les enfants avaient peur de ça. Quand ils n’étaient pas gentils, on leur disait qu’ils allaient revenir. Et puis, c’est un film flamboyant, un peu gothique. Dans le fantastique, on peut se livrer à un tas de facéties. Je me rappelle que j’ai failli me battre avec John Boorman parce qu’il n’aimait pas le film. Boorman avait hué pendant la distribution des prix quand Jeanne Moreau avait annoncé que j’avais gagné. Lautner, qui est un brave gars, était dans le jury aussi, il a attrapé Boorman et lui a dit : « Espèce de salaud, c’est un confrère ! » . Boorman était assis à côté de Brian De Palma, et ils se sont foutus de mon film au moment où j’ai eu le prix. Et c’est là où je me suis rendu compte que le film était intéressant dans la mesure où il n’était pas dans le style de leurs films. Parce que eux travaillaient dans quelque chose de classique et Litan n’était pas classique parce qu’il venait de l’Est. C’était le choc entre l’Est et l’Ouest sur le fantastique. Ils ont regardé mon film avec une haine comme s’ils regrettaient de ne pas faire ça. Ils ne pouvaient pas sacrifier à des lois du genre que je n’ai pas respectées. Ils se sont dit que j’avais réussi à visualiser quelque chose de mon enfance que eux, ne pourraient pas faire parce que ça risquerait de ne pas marcher financièrement. Ils ont peut-être beaucoup plus de possibilités mais ils les canalisent pour pouvoir être dans le show-business. ils se contrôlent terriblement. Donc, ils ne peuvent pas avoir la même inspiration que moi, parce que moi, je m’en fous, je peux faire ce que je veux !

Propos recueillis par Julien Pichené et Laurent Devanne.
Entretien réalisé pour l’émission de cinéma Désaxés et diffusée sur Radio Libertaire le 9 Novembre 2003.

* Là Mocky s’est planté. Il s’agit de Douglas Fairbanks et pas de son fils.

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Le détour, le creux et l’évidence (par Virginie)

Posté par Gabriel Cloutier le 29 janvier 2009

ENS-Ulm avril 2006
Le détour, le creux et l’évidence chez C. Rosset

La pensée rossétienne semble n’avoir pas de positivité. C’est d’autant plus problématique que, par définition, tout texte est empreint de sa propre particularité. Mais de fait, il est frappant de voir à quel point C. Rosset s’attache, au lieu, ou plutôt avant, de parler en son nom, à la critique de ses prédécesseurs et collègues. Comme si lui-même ne faisait qu’emprunter à d’autres la matière et l’occasion pour exercer une pensée polémique, pas toujours de bonne foi, envers des auteurs qu’elle semble parfois « expédier ». Ces ouvrages, en particulier Le réel et son double et L’objet singulier, montrent un foisonnement de références où se mêlent les époques, les traditions et les sujets. La saisie intuitive de la logique de cette œuvre est alors pour le moins malaisée, sans parler de la possibilité de la commenter sans lui porter tort. C’est la raison pour laquelle il convient de revenir au simple niveau de la compréhension, et de tenter tout d’abord de dégager quelques traits saillants de la pensée rossétienne, en espérant pouvoir faire droit par là à une philosophie particulièrement originale et efficace par son pouvoir déconcertant.
L’une des caractéristiques semble-t-il principales de la pensée de C. Rosset est sa désarmante simplicité, face à une tradition philosophique qui procède plutôt selon un schéma expansif. Cette dernière se confronte aux problèmes en y appliquant ou en créant pour eux une structure rationnelle et un dispositif conceptuel. Là où elle entrevoit un obstacle à la pensée, elle répond par la refonte et l’élargissement des ses propres outils, créant par là positivement de la matière, des objets philosophiques. Si l’on devait définir en gros la position rossétienne face à la tradition métaphysique, on pourrait dire que celle-ci est conçue comme un effort pour conceptualiser l’être en englobant le réel sensible, qui par son aspect imprévisible et protéiforme est toujours en partie inintelligible et donc marqué par un défaut d’être. La métaphysique rassure, en ceci qu’elle est une pensée créative et efficace, comblant le vide gênant de l’aporie intellectuelle face au réel.
C’est face à cette tradition que C. Rosset donne le sentiment de parler pour ne rien dire. Car sa pensée n’entend pas dépasser cette aporie première du réel dans sa singularité, ce qui tend à la faire apparaître comme exclusivement négatrice, déconstruisant toute tentative de justifier le réel, sans fournir d’alternative en échange. Mais avant d’imputer à son auteur une telle mauvaise foi, de dénoncer un philosophe certes éminemment critique, il nous faut essayer de comprendre cette critique comme une méthode bien particulière. Car ce que Rosset dit effectivement du réel, et ce n’est pas une moindre difficulté que de saisir cette effectivité, fait fond justement sur une critique radicale de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une position métaphysique. Cette radicalité critique fonde alors un détour par une négativité qui se révèle, dans la pauvreté même de ce qu’elle produit à son compte, extraordinairement féconde. Mais ce résultat n’est pas porté par les mots, il est bien plutôt révélé en creux sous ce que le discours dénonce. La construction intellectuelle rossétienne est fondamentalement une déconstruction, nécessaire au jaillissement du réel. Tout ce qui se dit de lui concerne ce qu’il n’est pas et par la suite, débouche sur ce qui se situe déjà en aval de lui : l’allégresse, autrement dit non pas le réel lui-même mais le réel tel qu’il agit sur nous, ses conséquences éthiques.
Deux exigences s’imposent alors : tout d’abord définir cette méthode du détour et souligner l’importance du gain théorique qu’elle permet, au-delà d’un simple rapport polémique au reste de la pensée philosophique. Mais dès lors il faudra essayer aussi de saisir comment cette pensée s’articule à celle de ses prédécesseurs et autres interlocuteurs. Comment placer C. Rosset au sein d’une tradition, notamment métaphysique ? Sa propre pensée semble représenter l’autre total de la métaphysique, mais comment s’explique alors le fait que le rapport critique à d’autres œuvres ne soit pas seulement un préalable à l’établissement de ses propres positions, mais au contraire soit un motif récurrent dans nombre d’ouvrages ? Si l’on garde à l’esprit l’importance de la part critique de l’œuvre de Rosset, et qu’on la considère comme un point structurant, sa pensée peut apparaître aussi comme une sorte de discours sur l’être à rebours, conservant un point de contact permanent avec la tradition ainsi que des thèmes et des questions usuelles que l’on ne peut évacuer, comme le rôle de l’intellect et du langage, le problème méthodologique de la création et l’utilisation du concept, , et des positions comme le scepticisme ou le matérialisme. La question est alors celle de la portée du double : est-il envisagé seulement de façon critique ou bien également selon un versant positif ? Dans tous les cas, quelle est la fécondité du double et son statut dans la philosophie de C. Rosset ?

La pensée rossétienne est critique ne serait-ce que, tout d’abord, par la place que celle-ci tient dans l’économie de ses ouvrages. Le réel et son double par exemple est entièrement bâti sur une triple critique de ce que Rosset nomme l’illusion, en l’espèce oraculaire, métaphysique et psychologique. Il y présente et développe les différents types de duplication repris ensuite dans Le réel, traité de l’idiotie. L’auteur analyse tout d’abord l’illusion oraculaire, qui correspond dans le deuxième ouvrage à la fonction pratique de mise à l’écart d’un évènement possible mais non souhaité, processus voué à l’échec. Car cette illusion a pour effet de scinder le réel dans son effectivité en deux pôles, celui qui est annoncé et celui que l’on voudrait lui substituer, faisant croire qu’il est possible d’échanger deux possibilités chargées en puissance du même quotient d’être. Or c’est une thèse constante de Rosset que d’affirmer le caractère toujours fictif du double. Loin d’y voir, comme le fait l’illusion métaphysique, l’évènement le plus riche ontologiquement et donnant son sens au réel fluctuant (c’est là la deuxième forme d’illusion analysée, aux conséquences épistémiques), lui souligne constamment son aspect par définition illusoire, mais qui a, malheureusement pour nous ou pas, comme nous le verrons, ses racines dans le fonctionnement même de la psychologie humaine où elle opère un dédoublement fantasmatique entre le sujet et ce qui l’entoure (troisième forme de l’illusion dégagée dans le premier ouvrage et confirmée dans le second) . La duplication, qui est une réalité de fait, tend aussi toujours à se constituer comme déni de droit de la spécificité et de la singularité du réel. C’est là l’horizon principal de la philosophie de Rosset, qui exerce son activité critique contre ce penchant inévitable et cette perversion du double.
A ce stade, on est encore tenté de ne voir là qu’une position strictement polémique, voire pamphlétaire. Dans une attitude proche de celle de Molière moquant les précieuses de salon, exemple qui est d’ailleurs utilisé par Rosset, celui-ci dénoncerait ceux de ses collègues philosophes qui, traditionnellement, porteraient l’art du chichi jusque dans des sphères intellectuelles se coupant toujours plus de la réalité, même pour la systématiser. Certes quelques-uns des exemples livrés par l’auteur sont déconcertants dans leur rapidité à stigmatiser telle ou telle pensée. Mais ce serait être cette fois-ci injuste envers Rosset que d’en faire un penseur animé d’une telle volonté revancharde. Il faut ici considérer son style éminemment critique selon un angle quelque peu différent. On peut proposer, pour essayer d’en rendre raison, de prendre en compte davantage l’abondance des procédés critiques. En effet, cela permet tout d’abord au passage de fournir une explication, qui vaut ce qu’elle vaut, non pas d’une éventuelle lacune dans la rigueur du traitement des références, mais d’une inévitable variabilité dans l’attention portée aux différents interlocuteurs, selon leur importance dans le propos ; mais surtout de pointer vers une possible utilisation méthodique de la critique. On l’a déjà vu, le développement des mauvais doubles dans Le réel et son double et Le traité de l’idiotie obéit à une logique interne similaire dans les deux ouvrages, qui justifie à la fois la structure dupliquée de notre rapport au réel et la critique de ce rapport.
Mais c’est surtout dans L’objet singulier que cette méthode apparaît saisissable. En effet le détour critique y est utilisé de trois manières différentes et complémentaires. Comme dans les deux ouvrages précédents, Rosset opère un « Retour sur la question du double ». La critique se retrouve donc en premier lieu dans l’examen positif d’une notion considérée comme potentiellement négative (mais pas seulement). Le deuxième chapitre tire les conséquences du premier, cette fois en argumentant sur les conséquences pernicieuses du double et en révélant leur faiblesse conceptuelle : quand le double s’autonomise par rapport au sentiment du réel d’autant plus indescriptible qu’il est plus intense, il outrepasse ses droits. Ainsi du cas de la peur, qu’on analyse communément comme une « crainte à l’égard d’un objet irréel » donnant lieu à « un doute […] quant aux objets réels eux-mêmes ». Le propos de Rosset est alors de montrer que cette analyse n’est pas totalement juste, en ce que la duplication qui en est la base tend à porter sur un au-delà du réel, c’est à dire que la manifestation de la terreur au sein du réel trouverait sa source en-dehors de celui-ci. Mais comme le remarque l’auteur, en tant « qu’il est pure étrangeté, […] aucun objet réel n’est susceptible de devenir terrifiant par son entremise. ». Ce même schéma est repris pour démontrer les abus du double dans le cas du désir, de l’objet cinématographique, et musical. Mais la portée critique ne s’en tient pas là, elle supporte une troisième étape. Sur la présentation du concept négatif et son examen argumentatif, se greffe en effet un « remplissage » de la notion d’après une analyse du double respectant la primauté et la singularité du réel. Ainsi, dans le cas de l’objet terrifiant, la peur ne provient pas de la vision confuse d’un irréel mettant en péril la réalité, mais bien d’une duplication dans l’irréalité face à un réel qui terrorise par sa singularité implacable : « La première crainte n’est qu’une anticipation de la seconde, qu’elle s’efforce de différer et de conjurer en éprouvant sur le mode fantomal une terreur qu’elle préfère ne pas éprouver sur le mode réel. Une terreur pour rire, qui dispense à terme d’avoir peur pour de bon. » (p. 40). Le double joue bien ici son rôle c’est-à-dire pointer en négatif vers le réel, mais sans altérer pour autant le réel en tant qu’indicible qui en est la vraie source. Cette série d’exemples structurant l’ensemble de l’ouvrage peut alors être un signe de la portée systématiquement critique de l’œuvre de Rosset : celle-ci n’est pas simplement polémique mais utilise le détour critique comme une stratégie, ce qui tient à la particularité de ce qui est représenté, le réel, qui est radicalement inidentifiable.
Ce trait particulier de la philosophie rossétienne est à mettre en rapport avec l’utilisation qui y est faite du concept philosophique : celui-ci opère avant tout en négatif, au sein du moment critique, afin de faire surgir, en creux, une réalité elle-même indicible. Du coup, les concepts proprement rossétiens ne sont que rares (les plus importants étant le réel et la tautologie) et en apparence pauvres (témoin sa conception du réel). Mais dans la majorité des cas, le concept entre dans ce rapport critique à la philosophie des prédécesseurs, en tant qu’il en est le résultat, le double produit pour expliquer le réel et qui, échouant face à l’ineffabilité de celui-ci, en vient à se poser comme « plus réel que le réel ».Tel est le cas par exemple de l’Idée platonicienne telle qu’elle est présentée dans Le réel et son double. Pensée métaphysique du double, elle se présente comme candidate possible à une explication en règle du réel, d’autant plus qu’elle semble d’abord elle aussi occuper une position critique concernant la duplication : les choses sensibles ne peuvent pas plus se dupliquer elles-mêmes, que répéter l’Idée qui leur tient lieu de fondement. Mais Rosset en tire en réalité la conclusion que cette pensée du double aboutit à l’inverse de son point de départ. Voulant rendre compte du réel, elle ne fait qu’enrichir le ciel des idées philosophiques d’une fiction de plus, qui fait paradoxalement concurrence au réel (p. 57). Le double n’aurait donc forcément qu’une utilité négative, car c’est justement quand, dans sa confrontation au réel, il prend le pas sur lui qu’il s’en éloigne le plus et le trahit. Autrement dit, penser revient certes toujours à dédoubler, mais cela ne prend sa valeur que si cette attitude est elle-même intrinsèquement critique, la réalité ne pouvant être justifiée qu’au moyen d’un détour sur ce qu’elle n’est pas, détour inévitable puisque tout effort pour penser le singulier revient à en produire un double. Le double doit soupçonner non son rapport à la réalité, ce qui rend possible de faire tomber la faute du côté des choses, mais sa propre méthode. On voit donc que la critique rossétienne n’est ni ad hoc, ni même simplement systématique, mais structurelle : elle débouche sur l’utilisation du double en tant qu’il est conscient de ce qu’il n’est pas. Son terrain privilégié est cependant celui de pensées ayant accompli une partie du chemin, soit comme Platon en montrant le divorce entre le réel et son double, soit comme Hegel (p.67 ss.) en intuitionnant que c’est par un retour vers la sphère du réel que le double réussit . Mais là encore la méthode n’est pas correcte : Hegel présuppose lui aussi une certaine « extra-réalité » existant comme telle et dont il tente de remplir les choses, de force, comme si le réel attendait de l’idée qu’elle retourne vers lui, mais en lui apportant un surplus d’être. Là encore la négation est insuffisante en tant qu’elle porte simplement sur un moment du détour. Le critère de réussite est finalement simple : si la pensée débouche sur un réel « encore plus réel », auquel s’ajoute une quelconque dimension, il est dénaturé. C’est pourquoi la philosophie rossétienne est si sèche et si sibylline lorsqu’elle parle en son propre nom. Elle ne cesse de « tailler dans le vif », ramenant à l’énoncé « le réel est le réel ».
La question se pose donc de la fécondité de ce détour négatif. Il semble bien qu’il ne révèle en creux rien d’autre qu’une réalité incommensurable et indicible. On déboucherait alors sur une position radicalement matérialiste, en ce que seule la réalité concrète et sensible est affirmée, ou plutôt même sur un scepticisme, puisque ceci rendrait impossible toute saisie du réel en tant que tel. La philosophie rossétienne n’aurait alors qu’une valeur provisoire, elle enjoindrait au bout du compte à se taire, niant toute légitimité autre que déconstructrice à un intellect qui sombrerait ensuite définitivement dans sa propre négation. Là encore, ce serait faire du travail de Rosset un nihilisme acharné et outrancier. Or lui-même critique cette attitude, dans les « Remarques sur le pouvoir » (Le philosophe et ses sortilèges) : dans le cadre d’une critique d’une conception entièrement dénonciatrice du pouvoir, il écrit « Car rien de positif ne ressort du négatif en tant que tel : quand on aura achevé de dresser la liste des choses mauvaises, on n’aura pas encore commencé à dire un seul mot en faveur des choses bonnes. ». Y a-t-il alors chez Rosset une perspective positive sur le réel ? Car il est vrai que la définition en creux de l’idiotie du réel court le risque de se vider entièrement face à la trop grande « simplicité » de ce qu’elle énonce. Reste donc, pour sauver la fécondité du détour, à réfléchir sur le pourquoi de cette indicibilité du réel et sur les conditions de la duplication. Il faudra alors en passer par l’examen du bon double et une attention au langage même qui le véhicule. La question devient alors celle de la marge de manœuvre permise par le double pour opérer un retour sur le réel. Autrement dit, quelle est la faille, dans la règle tautologique qui régit la réalité, où le langage, le bon double, peut s’engager pour dire effectivement cette réalité ? Quelle positivité se dégage des concepts de réel et de tautologie ?

Si l’on donne voix à l’objection de nihilisme adressée à la philosophie rossétienne, celle-ci apparaît comme une anti-métaphysique radicale. Prenant une position strictement inverse, il s’agirait de brandir une conception matérialiste du réel pour s’opposer aux fictions intellectuelles de la métaphysique. Mais, outre que cela ne fait pas droit à la place prépondérante dans son oeuvre des diverses ontologies traditionnelles, même si Rosset les examine toujours d’un œil critique, cela entre en contradiction avec la description que l’auteur donne du matérialisme (L’objet singulier, chapitre « Amertume et modernité ») : étant lui-même en compétition avec une explication métaphysique du réel, le matérialisme en reprend le principal défaut, à savoir qu’en disant qu’il n’y a que le réel, il insiste sur le « que », posant la réalité dans une situation d’incomplétude irrémédiable. Autrement dit, le matérialisme comme philosophie du réel refuse paradoxalement ce que Rosset nomme la « paternité » de ce réel. Toute autre est l’affirmation rossétienne que du réel, on ne peut rien dire. Qu’en est-il alors du deuxième écueil, celui du scepticisme ? On peut déjà soupçonner que ce n’est pas la position de Rosset, dans la mesure où le scepticisme est lui aussi une philosophie du manque, dans son acception la plus radicale : non seulement on ne peut rien connaître de l’au-delà, mais rien non plus du réel lui-même. La difficulté est donc de faire la part chez Rosset à une vraie pensée, dans laquelle l’intellect joue bien un rôle, tout en articulant cela à la négativité structurelle du rapport au réel. C’est-à-dire qu’il y a bien là une « position d’intelligence » face à la singularité du réel, mais elle est profondément déterminée par cette méthode du détour et du creux qui accède ainsi au rang de méthode épistémique. La négativité, traversant toutes les couches de la réalité, tant le rapport au réel comme tel que considéré comme objet de connaissance, assure ainsi la cohérence de toute l’œuvre de Rosset, dans laquelle peut se dégager une positivité propre. C’est dire que, de part en part, son travail revient sur le double, le mauvais qui est dénoncé, et le bon qui, par le détour lui aussi, accède au réel. Le premier indice de cette positivité est donc cette répétition incessante du geste du détour, qui fait finalement surgir le réel grâce à l’usage du bon double.
Comment la duplication du réel fait droit à celui-ci, au lieu de se contenter de montrer qu’il n’est rien de ce qu’on dit de lui ? La réponse se trouve dans l’utilisation par Rosset de la notion de tautologie, deuxième concept primordial et en même temps d’un laconisme vertigineux. La tautologie au sens rossétien est l’expression la plus complète de la loi du réel : « A est A ». C’est ainsi qu’elle s’énonce comme un état de choses, mais identifiable par le langage. Le problème est alors le suivant : comment cet énoncé peut-il avoir un sens ? En effet le rapport d’identité qu’il suggère est si étroit, si serré, que la proposition semble, au moment où elle s’énonce, se vider de tout contenu. Comme cela était à craindre, le double ne résiste pas à la force tautologique du réel qui l’asservit et anéantit sa puissance d’expression. Le double est en quelque sorte « phagocyté » par le réel identique à lui-même. Au sein de cette tautologie permanente, il n’y a pas de place pour un langage expressif, qui se résume alors à répéter : ceci est ceci, la table est la table, etc… Rosset semble commencer par éviter de se confronter à cette aporie, présentée dans Le démon de la tautologie, p.40 ss. Au lieu d’étudier le fonctionnement linguistique de la tautologie elle-même, il la remplace par des formes moins directes, la métaphore et la synecdoque. En cela son analyse est très traditionnelle, et fait fond sur la conception littéraire de la métaphore comme procédé de style qui, mot à mot, « porte ailleurs » le discours et nomme une chose par une autre. La métaphore cadre ainsi tout à fait avec l’analyse rossétienne en ce qu’elle constitue un détour depuis son objet, qui le fait apparaître en creux grâce à un léger changement de perspective, un saut de côté laissant libre la place pour l’objet singulier. Mais la métaphore ne peut être considérée comme le modèle par excellence de la production du double. Car elle aussi tend à se présenter comme un enrichissement du réel, une production de réalité au titre de valeur ajoutée. Autrement dit, on court toujours le risque avec la métaphore de la voir s’autonomiser et se poser finalement en concurrente au réel qu’elle est censée servir et dont elle émane. C’est pourquoi Rosset s’affirme pour une utilisation tautologique de la métaphore, cette fois-ci en accord avec la loi du réel. Elle n’est ainsi pas une production de réel mais un « effet de réel », une sorte de perspective sur lui, qui ne recrée pas plus qu’elle ne complète la réalité, mais le redécouvre sans cesse à partir de lui-même comme singularité par des moyens toujours remis à neuf (p. 43).
Dans cette conception du langage comme détour, la répétition joue un très grand rôle. C’est semble-t-il par un geste réitéré d’expression métaphorique du réel que l’on est susceptible de dévoiler chaque fois un petit coin de la réalité, par un détour langagier laissant surgir un aspect du singulier. Dans cette perspective, il serait intéressant de comparer la conception rossétienne du discours et la tradition phénoménologique et herméneutique telle qu’elle est initiée par Husserl dans les Recherches logiques. Mais on se heurte alors à un problème d’interprétation majeur. Car si les pages 40 à 52 du Démon de la tautologie constituent un passage suffisamment explicite pour dégager une conception rossétienne du langage, à l’inverse de beaucoup d’autres passages, aucune référence n’y est faite à une quelconque inspiration dans une autre pensée. L’absence de toute référence est problématique en ce qu’elle laisse penser qu’il s’agit bien là d’un apport théorique positif, mais fonctionnant de façon autonome. Il n’est donc pas évident que soit autorisé le moindre rapprochement avec un autre auteur. Néanmoins celui-ci peut sembler éclairant. Dans les Recherches logiques I et II, Husserl présente la signification comme une reformulation perpétuelle, au sein du langage, d’un objet chargé d’une certaine idéalité (qui n’est pas une transcendance, mais qui lui confère autonomie et vérité en soi). Tout acte de langage se présente donc comme une interprétation visant un objet dans son idéalité à travers une « donation de sens ». Les expression concrètes ne doublent pas la chose, et celle-ci perd toujours de son idéalité lorsqu’elle est formulée, mais n’étant pas transcendante elle ne peut être définie en-dehors de son énonciation par un jugement, même purement théorique. L’idéalité est indépendante de ses expressions mais elle ne peut se manifester que par elles, elle tient à la forme de la subjectivité en général. Les différences sont grandes avec Rosset pour qui le réel est plutôt en deçà de toute subjectivité, et dont la puissance d’expression est immédiate, mais chez lui aussi ce réel manifeste sa singularité pour une conscience, quitte à se révéler cru et indigeste. Chez Rosset, c’est cette singularité du réel qui peut valoir comme la présupposition d’une interprétation que le langage tend sans cesse à élucider par reformulations successives et changements d’angle. Mais de même que chez Husserl, l’expression n’atteint jamais totalement la chose, qui par essence est trop hétérogène (c’est-à-dire ici singulière) à ce qui est dit d’elle. Le langage a donc partie liée avec la structure tautologique du monde, à laquelle il est la voie d’accès, mais étant lui-même partie du réel, il reste dans un rapport de soumission à cette tautologie du réel.
De fait, la force et l’originalité de la pensée rossétienne est de trouver son fondement dans la tautologie comme « modèle de toute vérité ». Certes le discours philosophique ne peut pas être de la forme tautologique « A est A », ce qui serait le degré zéro du détour, le langage se trouvant alors vidé de sa substance. Mais la tautologie détermine le régime le plus direct de détour, en tant que tout énoncé doit tendre vers la forme « A n’est autre que A ». A partir de ce postulat-modèle, le détour est fondé comme un léger écart, ramenant vers la simple re-énonciation de la chose, mais s’autorisant d’une distance minimale, nécessaire pour dire « A n’est autre que A ». L’expression « démon de la tautologie » intervient comme un concept où se mêlent le geste répétitif, le détour et la singularité principielle du réel. Le critère de réussite de ce « détour tautologique » est alors l’évidence, l’immédiateté infra-linguistique sous la couleur de laquelle le réel se montre, et fonde une utilité critique de la tautologie pour dénoncer toute pensée contournant l’évidence insupportable au moyen d’un faux double. Le réel mis au jour par le détour critique cesse ainsi d’apparaître toujours comme le point aveugle du langage, puisque celui-ci, quand il est de forme tautologique, l’exprime certes indirectement mais néanmoins au plus près. Le détour reste donc toujours un détour. Il ne saisit jamais directement le réel. Mais la duplication est ici ramenée au cœur du rapport à la réalité.
C’est ainsi que se comprend alors le statut de la métaphysique : celle-ci apparaît alors comme une tentative ratée de saisie du réel, mais aussi comme véritable adversaire, puisqu’elle fonctionne sur le faux double et la pseudo-tautologie. Ce n’est pas seulement un contrepoint ponctuel : la pensée rossétienne se présentant comme une philosophie perpétuellement critique, répétant inlassablement celle-ci, elle entraîne inévitablement son adversaire avec elle. Le travail de Rosset est bien l’autre radical de la métaphysique, mais il ne peut pas non plus s’en passer. N’évacuant jamais son autre, elle représente moins une anti-métaphysique qu’une ontologie négative. Ce terme a de plus l’avantage d’être utilisé par Rosset dans L’objet singulier, chapitre 1, p.28-29 : « La pensée du double, à en mener l’analyse jusqu’à son terme, aboutit ainsi à la pensée d’une ontologie en laquelle se résume finalement la recherche philosophique que nous avons entreprise. Ontologie du réel dont la particularité est de ne prendre appui ni sur la pensée de son « être » ni sur celle de son « unité », mais sur la considération de sa seule singularité. Appui qui peut certes apparaître comme à jamais douteux, puisque la considération sur laquelle se fonde semblable ontologie est obscure en son principe : considération d’un réel qui, en tant que singulier, ne saurait jamais être vu ni décrit. Il n’y a rien à répondre à cette objection, et on doit au contraire en confirmer sans cesse le bien-fondé. L’ontologie du réel est une « ontologie négative », comparable aux systèmes que l’histoire de la philosophie a reconnus comme « théologies négatives », tels que ceux de Denys l’Aréopagite, de Maître Eckhart et Nicolas de Cues, dont elle ne diffère en somme que par cette circonstance qu’elle applique au réel les attributs que les théologiens négatifs ont coutume d’attribuer à Dieu. ». Ceci en rupture évidente avec l’ontologie dite classique qui introduit des degrés hiérarchisés de réel, et par conséquent une différence de quotient de réalité au sein du réel lui-même.

La philosophie rossétienne est donc bien une pensée du détour critique, à tous les niveaux. Loin de se contenter d’un rapport polémique à la tradition, l’examen constant des thèses extérieures est l’occasion et la matière au surgissement d’une pensée complexe du réel comme ce qui reste toujours inaccessible à l’analyse. Ce réel indicible vaut certes comme un critère d’appréciation efficace à l’encontre des théories ontologiques ou métaphysiques, qui tendent le plus souvent à insérer le réel dans un système plus vaste, sans le ressaisir dans sa spécificité, mais surtout, ce qui est plus grave, à lui ôter toute valeur justement parce qu’il est le plus immédiat. Cependant, si Rosset parvient souvent à « élaguer » les conceptions du réel pour en revenir à son noyau le plus pur, le danger réside en ce que, arrivé à ce stade, le langage de la philosophie semble n’avoir plus lieu. Il se pourrait que le travail de Rosset consiste en une sorte de « surplomb » méthodologique passant par le détour négatif, pour montrer en creux tout ce que le réel n’est pas. Face à la philosophie en expansion, il s’agirait là d’une pensée contenant sa propre limite, en forme d’entonnoir, prenant idéalement fin lorsque toutes les illusions du double sont anéanties, et débouchant sur un mutisme complet , un rapport immédiat au réel. Certes l’horizon de Rosset reste l’allégresse, cette pensée sans arrière pensée tout entière insérée dans le réel qui n’a pas de double, quoi qu’il advienne. Mais il semble bien par ailleurs que l’auteur s’attache également, par le détour évidemment, à « remplir » les représentations avec l’épaisseur du réel qu’elles masquent ordinairement. Et c’est bien le double lui-même, véhiculé par le langage, qui permet cela. Le double peut donc, en obéissant à la même règle tautologique que le réel, s’en faire l’instrument et le lieu d’apparition. En ce cas, l’écriture et la pensée ont bien un vrai rôle à jouer, qui constitue un préalable logique pour une philosophie dont se dégage surtout une réflexion éthique.

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Les excentriques du cinéma français

Posté par Gabriel Cloutier le 28 janvier 2009

Les excentriques du cinéma français sont légion et au fil des ans leurs noms s’estompent et finissent par disparaitre des mémoires. Il devient inutile pour la plupart de chercher leur présence sur Facebook qui compte pourtant un nombre exorbitant de groupes d’amateurs et de fans inconditionnels… Pour n’en citer qu’un, le Groupe des Fans de Pierre Fresnay (qui n’est pourtant pas représentatif de cette mouvance…) ne compte que 11 membres, pour l’instant. Pierre Fesnay, un immense acteur. C’est dire.
Mon cinéma de maman est celui de Farrebique et de Goupil Mains Rouges, celui du petit écran bombé à coins arrondis des dimanche en noir et blanc, celui de la douceur feutrée des salles de province, du Palace, du Provence, du Club, du Familial qui véhiculaient l’insouciance pop de la culture pop des années 60. On y découvrait Francis Blanche, Darry Cowl, Roger Pierre, Jean-Marc Thibault, Jean Marais escaladait, Eddie Constantine cognait dur et Angélique I, II, II, IV et V faisaient un tabac presqu’incompréhensible. Les péplums trompettaient en Eastmancolor et Mocky réussissait le tour de force d’amuser un public à majorité catholique avec des oeuvrettes aussi iconoclastes qu’  » Un drôle de paroissien » ou, pire, que « L’étalon » (où on peut voir Marcel Péres devenir homosexuel !). On était impatient de faire la queue une heure pour « La Grande Vadrouille » et on retournait voir plusieurs fois le même film. Ce dernier, pour ne citer que lui, a totalisé le chiffre record (récemment battu) de 17 millions d’entrées sur notre seul territoire. Les « excentriques » qui y figurent ont pour nom : Pierre Bertin (comédien français, chanteur d’opérette, ami de Satie…), Mary Marquet (à la vie tumultueuse…), Paul Préboist (sans commentaire), Henri Genès (comédien, chanteur, humoriste.., Jacques Bodoin (humoriste, comédien, imitateur, ancien élève du Lycée de Tournon qui m’a un jour traité de « Punk »…), Paul Mercey… et j’édulcore, car l’évocation de chacun de ces seconds couteaux appelle à la révérence…

 

Tous, comédiens, acteurs, fantaisistes, musiciens, issus méli-mélo de l’Ecole Buissonnière, du Music-hall, de la Comédie Française, de la Rue, de l’Opérette Marseillaise ou des trai-teaux de province n’en demeurent pas moins ces petits dieux lares qu’on aime garder sur soi, porter en chemin, qui étonnent, émeuvent et réjouissent encore aujourd’hui et dont on peut découvrir et redécouvrir la fraîcheur dramatique grâce à Internet et au ciné-homing.

 

L’excellent ouvrage de Raymond Chirat et Olivier Barrot, « Les excentriques du cinéma français » recense les figures les plus représentatives des cuvées cinématographiques françaises de 1929 à 1958 et les amoureux du cinéma pop y trouveront leur content :
Pauline Carton, Julien Carette, Noël Roquevert, Jeanne Fusier-Gir, Raymond Bussière, Jean Tissier, Saturnin Fabre, Robert Le Vigan, Pierre Larquey, Yves Deniaud, Raymond Souplex, Jean Daurand… et une foultitude d’illustrissimes inconnus.

 

Il y a beaucoup à faire pour entretenir leurs mémoires, c’est entendu. Et dans un accès de pessimisme on peut facilement conclure à l’inutilité d’un tel projet. Quelqu’un de passage se reconnaîtra peut-être qui a justement parlé un jour de la « noble inutilité de nos existences… ». C’est donc tout naturellement à lui que ce fan-club est dédié.

 

Nos vies sont jonchées de cadavres et d’absences…

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Two Towers

Posté par Gabriel Cloutier le 28 janvier 2009

« There’s some good in this world, Mr. Frodo. And it’s worth fighting for. »

Frodo: I can’t do this, Sam.

Sam: I know. It’s all wrong. By rights we shouldn’t even be here. But we are. It’s like in the great stories, Mr. Frodo. The ones that really mattered. Full of darkness and danger they were. And sometimes you didn’t want to know the end. Because how could the end be happy? How could the world go back to the way it was when so much bad had happened? But in the end, it’s only a passing thing, this shadow. Even darkness must pass. A new day will come. And when the sun shines it will shine out the clearer. Those were the stories that stayed with you. That meant something, even if you were too small to understand why. But I think, Mr. Frodo, I do understand. I know now. Folk in those stories had lots of chances of turning back only they didn’t. They kept going because they were holding on to something.

Frodo: What are we holding on to, Sam?

Sam: There’s some good in this world, Mr. Frodo. And it’s worth fighting for.

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Rendre le réel à l’insignifiance ? Les grands remèdes.

Posté par Gabriel Cloutier le 27 janvier 2009

Un peu de n’importe quoi.

…car le réel est insignifiant et appelle sinon le silence du moins la jubilation.
Le double : idéologie, discours qui se veut structurant, et le jeu, le rôle, l’importance que l’on se donne…
Critique : http://www.fabula.org/lht/1/Trudel.html
Fan : http://clementrosset.blogspot.com/
Clément Rosset

Philosophie du rien, coup d’épée dans l’eau ?
Le premier maçon venu atomise toute l’oeuvre de Clément Rosset.

Un grand détour qui ramène à la case départ.
Le réel n’a pas de sens, vivre donne du sens à ce qui n’en a pas. Question : comment vivre, persuadé que rien n’a de sens ? Le dépit amoureux s’apparente-il à une prise de conscience du réel insignifiant ? A quelles occasions est-on forcé de constater l’absence de sens, l’indignifiance du réel. Quel est ce réel dans lequel on trempote ? Ombilic des limbes. Ressemblance avec le bouddhisme ou je-ne-sais-plus quelle théorie sur Dieu l’inconnaissable… Neti.
Dès lors qu’il est inconcevable, a t’il seulement droit de cité ? Et puis qu’en a t’on à faire ?
L’imagination n’est-elle pas la clé ? Aberration et monstruosité de la conscience.
La mort comme antidote ou comme fusion avec le réel ? Anéantissement du double ?
C’est le néant du rien qui génère les pensées roses… Peut-on parler de mensonge, un mot qui brille par son absence… de sens ?
Pas sur que Freud ne se soit planté (chez René Pommier)

Une historiette

La fin tragique de Raymond Lulle.
(Raymond Lulle arrive à Tunis à l’âge de 82 ans. Lors de cette mission, qui sera sa dernière, il tente d’amener les docteurs de l’islam à reconnaître la religion chrétienne)
« Quoi que vous fassiez pour échapper au réel, que vous recherchiez le divertissement ou que vous construisiez un système métaphysique, il finit toujours par prendre sa revanche. La mésaventure qui est arrivée à Raymond Lulle, un des principaux penseurs du Moyen Age, est à cet égard instructive. Cet homme, né à Majorque au XIIIème siècle, a consacré sa jeunesse aux plaisirs, notamment aux femmes, c’est-à-dire qu’il s’est montré d’abord très sage. Puis il est monté sur une de ces petites montagnes de Majorque où il a connu une illumination. Au sommet de sa nouvelle vocation mystique, Lulle a eu la révélation d’un grand art, un « ars magna » : il s’est imaginé qu’il était capable de construire une démonstration rationnelle assez rigoureuse pour convertir tous les hommes au catholicisme. Il a demandé qu’on le conduise en Afrique du Nord. Une fois sur la côte – Lulle parlait couramment l’arabe – il a pris la parole pour tenter de convertir les musulmans avec sa méthode imparable, ses syllogismes parfaits. L’effet n’a pas manqué : à peine a-t-il ouvert la bouche que les indigènes ont ramassé des pierres. Ils l’ont lapidé. Même s’il faut déplorer la mort de cet admirable érudit, on ne peut s’empêcher de voir dans cet événement une savoureuse revanche du réel. Car la réalité passe par la sensation. Et quand vous recevez une pierre, ce n’est pas une idée de pierre qui s’écrase sur la figure ! »

Un peu con, non ? Moitié gamin, moitié potache.

//www.axelibre.org/livres/clement_rosset-fantasmagories.php

http://slothorp.blogspirit.com/archive/2007/11/16/hier-et-demain.html

http://blog.cavesa.ch/index.php/2008/03/11/124942-de-la-conversion-des-musulmans-au-coup-de-poing-du-reel-la-philosophie-de-clement-rosset

http://clementrosset.blogspot.com/2006/02/la-force-majeure-un-nouveau-nietzsche_20.html

On lit :  » Il n’est pourtant pas inutile de se demander si Clément Rosset adapte Nietzsche à ses propres intuitions… »

Oh le gros mot ! Il n’y a pas d’intuition possible de l’existence de l’absence de sens !

Publié dans Introx | 6 Commentaires »

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